Le 5 juin dernier, le syndicat DECOSET a publié le cahier des charges du futur contrat de gestion de ses deux incinérateurs (Toulouse et Bessières) (1). En effet, ceux-ci sont gérés actuellement par des opérateurs privés (VEOLIA et SUEZ) à travers des délégations de service public qui vont arriver à terme en même temps, fin 2024. Le syndicat vient donc de lancer un marché unique pour renouveler ces deux contrats de gestion à partir de 2025, sur une durée de 20 ans. Ce futur contrat inclura également la reconstruction de l’incinérateur de Toulouse par le même délégataire. Étant donné la taille des deux incinérateurs et la durée du contrat, le montant global de celui-ci est estimé par DECOSET à un milliard d’euros.

La gestion actuelle des incinérateurs

Le syndicat de traitement des déchets DECOSET gère 2 incinérateurs qui servent à brûler l’ensemble des ordures ménagères produites sur les 8 EPCI adhérents de son territoire.

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Installations de traitement gérées par Decoset (Source : rapport DECOSET 2020)

L’incinérateur de Toulouse reçoit l’ensemble des OMR des communes de la zone B (soit Toulouse, Blagnac, Cugnaux et Villeneuve-Tolosane) et dispose pour se faire d’une capacité maximale autorisée de 330 000 tonnes/an mais sa capacité technique réelle est actuellement limitée à 285 000 tonnes/an. La gestion de l’incinérateur de Toulouse a été confiée par Délégation de Service Public (DSP) à la Société d’Exploitation Thermique du Mirail (SETMI), filiale de VEOLIA, pour une durée prévue à l’origine de 14 ans, entre 2007 et 2021. Le contrat de DSP initial a été prolongé récemment de 3 ans, jusqu’à fin 2024, car le syndicat DECOSET a estimé qu’il était compliqué de procéder à un changement de délégataire pendant la phase de travaux de mise aux normes de l’incinérateur qui va se prolonger sur les prochaines années (2).

L’incinérateur de Bessières d’une capacité de 194 000 tonnes/an traite les OMR de la zone A de DECOSET, soit les 33 autres communes de la Métropole de Toulouse et l’ensemble des 7 autres EPCI. La construction et l’exploitation de la plupart des installations de Decoset (zone A) ont été confiées par DSP à la société ECONOTRE, filiale du groupe SUEZ, au travers d’une convention d’une durée de 23 ans à compter de la mise en service industrielle de l’UVE en 2001. Dans ce cadre, le délégataire ECONOTRE a construit le complexe de Bessières (UVE et Centre de tri), ainsi que les centres de transfert de l’Union, Grenade et Belberaud. Decoset en deviendra propriétaire à l’issue de la DSP en 2024.

La délégation de service public

La délégation de service public (DSP) est une modalité de gestion d’un service public par une collectivité territoriale qui en confie la responsabilité à un opérateur économique dont la rémunération est substantiellement liée au résultat d’exploitation du service. Ces contrats ne peuvent pas être conclus pour une durée supérieure à 20 ans sauf dérogation et, à l’expiration du contrat, l’ensemble des investissements et des biens du service redevient la propriété de la collectivité, y compris les bâtiments construits par le délégataire dans le cadre du contrat.

L’une des caractéristiques essentielles de ce mode de gestion concerne le risque financier lié à l’exploitation du service : il pèse non pas sur la collectivité mais sur l’entreprise, qui se rémunère, en tout ou partie, par le prix payé par les usagers du service. Il revient ainsi au délégataire de trouver lui-même des clients afin d’être rémunéré, tout en étant soumis aux règles du marché. Suivant les modalités conclues dans le contrat, il peut également être soumis à l’obligation d’assurer un ou plusieurs services à ses risques financièrement.

La collectivité garde, néanmoins, la maîtrise du service dans la mesure où l’entreprise est tenue de rendre compte de sa gestion sur les plans technique et financier. En outre, la collectivité dispose des moyens juridiques nécessaires pour assurer, quoi qu’il arrive, le fonctionnement du service ou pour modifier son organisation (pouvoir d’infliger des sanctions à l’entreprise, de modifier unilatéralement le contrat ou même de le résilier pour des motifs tenant à l’organisation du service ou tirés de l’intérêt général) (3).

Les contrats de DSP actuels

La Chambre Régionale des Comptes d’Occitanie a procédé en 2022 au contrôle des comptes et de la gestion du syndicat mixte DECOSET en procédant à une analyse détaillée des contrats de DSP des deux incinérateurs qui constituent l’essentiel des activités du syndicat (4).

En ce qui concerne la délégation de service public ECONOTRE (incinérateur de Bessières), la Chambre considère que celle-ci est globalement déséquilibrée, car le contrat montre « une rentabilité forte et une absence de risque pour le délégataire ». Ainsi la chambre relève que « les dispositions contractuelles n’exposaient concrètement le délégataire à aucun risque significatif », car « les seules redevances versées par DECOSET suffisent à assurer la rentabilité de l’exploitation et les recettes de valorisation constituent donc de la marge nette pour le délégataire ». D’après la Chambre « ce résultat fortement excédentaire (…) permet ainsi d’assurer au délégataire un taux de profitabilité 2,5 fois supérieur à la moyenne des entreprises du secteur ». Afin de pallier ce déséquilibre, DECOSET a ajouté un avenant n°27 au contrat en 2021, actant la mise en place d’une redevance d’intéressement à la performance en partageant en deux le bénéfice net de la délégation sur les quatre derniers exercices. Mais la chambre souligne un peu plus loin que « le délégataire alourdit artificiellement les charges financières de la délégation au profit du groupe, (ce qui) conduit à limiter fortement la portée des dispositions de l’avenant n° 27 ».

Contrairement à celui d’ECONOTRE, le résultat d’exploitation de la société SETMI (incinérateur de Toulouse) était déficitaire en 2019 et semble montrer une faible profitabilité. Cependant, d’après la Chambre : « Le résultat de la délégation est dégradé par la facturation d’importants frais de siège, qui n’ont pas été suffisamment justifiés. En outre, la SETMI distribue les trois-quarts de son résultat sous forme de dividende ».

Dans la réponse qu’il apporte au rapport de la Chambre, le syndicat DECOSET fait remarquer qu’il n’est pas possible selon lui de séparer les résultats financiers de deux délégataires des résultats techniques obtenus et du respect du contrat original. En effet selon le syndicat, les deux délégataires ont bien assuré le service qui leur était demandé, qui était l’incinération des déchets fournis, pour un coût réduit pour l’usager, tout en assurant une bonne qualité de l’entretien de ces installations industrielles qui reviendront au syndicat à l’issue des deux contrats (5). Dans ce cadre, il est normal selon lui que les deux délégataires bénéficient eux-aussi financièrement de ces contrats.

Difficulté de suivi des DSP actuels

Ces contrats de DSP sont complexes et leur gestion par une entreprise tierce rend d’autant plus difficile leur suivi par le syndicat. En effet, comme l’a pointé la Chambre dans son rapport : « Le syndicat n’est pas parvenu à se faire remettre les pièces réglementairement et contractuellement exigibles », alors même que, pour le contrat ECONOTRE, « Le syndicat a déployé des efforts importants pour contrôler le délégataire, notamment en faisant réaliser chaque année un contrôle financier par un prestataire et en ayant mandaté un audit pour préparer la fin de contrat. »

De plus, le fait que ces entreprises soient des filiales de grands groupes leur permet de réaliser des opérations financières internes qui semblent, d’après la Chambre, avoir pour but d’éviter de payer un certain nombre de redevances au syndicat.

DECOSET reconnait implicitement des difficultés dans le suivi des contrats puisqu’il explique que des mesures plus contraignantes seront prises à l’avenir dans le cadre du prochain contrat et que plusieurs recrutements seront réalisés pour renforcer les équipes chargées du suivi de ces contrats de DSP. On peut cependant douter de la volonté réelle du syndicat d’assurer un suivi rigoureux de ces contrats étant donné ses réponses à la Chambre des Comptes qui semblent indiquer qu’il ne voit pas de problème particulier à ce que le délégataire fasse des bénéfices indus du moment que le contrat est respecté.

Le futur contrat de gestion

Les caractéristiques du futur contrat de gestion des deux incinérateurs ont été validées lors du comité syndical de DECOSET du 13 avril 2023 (6).

Le périmètre de ce contrat englobera les deux incinérateurs de Toulouse et Bessières ainsi que les aires de maturation de mâchefers attenantes. Le futur délégataire aura à sa charge la gestion et l’entretien des deux incinérateurs ainsi que la conception et la construction du futur incinérateur de Toulouse.

Le lancement de l’appel d’offre a eu lieu le 5 juin dernier et la remise des offres par les candidats sera possible jusqu’au 27 octobre 2023. S’ensuivra une période d’analyse des offres qui se conclura par l’attribution du contrat en septembre 2024. Une période de recouvrement aura lieu avec les deux délégataires actuels dans le but d’assurer une bonne transition avant le début d’exploitation au 1er janvier 2025.

La rémunération du délégataire sera assurée par les redevances de traitement versées par DECOSET et les apporteurs tiers (publics comme privés) au titre de l’incinération de leurs déchets ainsi que, dans une moindre mesure, des recettes liées à la revente des matériaux issus de l’incinération et de l’électricité produite.

DECOSET a estimé le montant total du contrat à 1 milliard d’€ HT sur les 20 ans d’exploitation, y compris le coût de reconstruction de l’incinérateur de Toulouse (estimé à 300 millions €). Si on considère que la capacité de l’incinérateur de Bessières restera stable à 170 000 t/an et que celle de l’incinérateur de Toulouse passera de 285 000 t/an en 2025 à 240 000 t/an à partir de 2030, on peut estimer que le tonnage total traité sur les deux incinérateurs de DECOSET pendant les 20 ans du contrat sera de 8 425 000 tonnes. Le coût moyen par tonne de déchet incinérée revient donc à 118 € HT/t, sachant qu’une partie (faible) de ce coût consiste en recettes de sous-produits de l’incinération (matière et énergétique) et en subventions. Le syndicat précise par ailleurs que le seul coût de construction du futur incinérateur de Toulouse reviendra à 36 € HT/t de déchets incinérés pendant la totalité du contrat, ou à 15 €/an et par habitant-e sur le territoire de DECOSET (sachant que ceux-ci ne seront pas les seuls à « rembourser » la construction de cet incinérateur).

Les opérateurs potentiels

Parmi les 121 incinérateurs de déchets ménagers actuellement en service, la très grande majorité sont gérés par des opérateurs privés pour le compte de collectivités (92%). Un regroupement important a eu lieu entre les opérateurs privés du secteur et seule une dizaine d’acteurs subsistent dont les trois multinationales VEOLIA, SUEZ et PAPREC qui se partagent à elles seules les ¾ du marché en nombre d’incinérateurs et en capacité d’incinération.

Répartition des 121 incinérateurs français par opérateur

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Contrairement à ce que l’on voit parfois indiqué, certains incinérateurs sont bien gérés directement par les collectivités soit en interne à travers une régie publique soit au travers d’une société dédiée. Parmi les plus importants on trouve l’incinérateur de Gerland (270 000 t/an) géré par la Métropole de Lyon, celui de Chavanod (140 000 t/an) géré par le Syndicat Mixte du Lac d’Annecy ou celui de Dijon (140 000 t/an) géré par l’agglomération du Grand Dijon.

Zone de chalandise

En accord avec les arrêtés préfectoraux qui réglementent leur activité, les deux incinérateurs de DECOSET sont autorisés à accueillir des déchets provenant de la Haute-Garonne ainsi que des départements limitrophes et même du Lot et de l’Aveyron (7). Sur l’ensemble de ce territoire, qui regroupe 58% de la population de la région Occitanie, 3 incinérateurs et 9 installations de stockage sont en service, qui représentent une capacité totale de traitement de 1 356 000 tonnes chaque année (dont 493 000 tonnes pour l’incinération et 863 000 tonnes pour l’enfouissement).

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Installations d’élimination des DMA dans la zone de chalandise des incinérateurs de DECOSET (source : ORDECO)

Or, d’après le Plan Régional de Prévention et de Gestion des Déchets (PRPGD) d’Occitanie voté en 2019 (8), la capacité d’enfouissement à l’échelle régionale va devoir fortement diminuer d’ici 2031 afin de respecter les obligations issues de la loi AGEC, alors que, dans le même temps, il est prévu que la capacité totale d’incinération reste stable. La quantité de déchets stockés devra ainsi passer de 1 700 000 tonnes en 2015 à 650 000 tonnes en 2031, soit une diminution de plus de 60%. Ramené à la zone de chalandise des deux incinérateurs, cela implique de passer de 863 000 tonnes de capacité d’enfouissement en 2023 à 325 000 tonnes en 2031. Les deux incinérateurs de DECOSET, qui représentent actuellement 34% des capacités d’élimination des déchets (stockage + incinération) sur leur zone de chalandise, devraient ainsi voir cette part passer à 56% en 2031.

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Evolution des capacités régionales d’élimination des DMA (source : PRPGD)

Cette diminution de capacité est censée accompagner la réduction dans la même proportion des quantités de déchets produites, mais, même si des efforts sont faits sur le sujet, il est à craindre qu’un grand nombre de collectivités soient en retard sur leurs objectifs de réduction des déchets à l’horizon 2030. Ainsi, au fur et à mesure que les collectivités vont voir la capacité de leur centre d’enfouissement baisser et même devoir fermer pour certains, les deux incinérateurs de DECOSET vont de plus en plus apparaître comme une solution de dernier recours pour traiter les déchets résiduels. Même si la capacité du futur incinérateur de Toulouse est fixée pour l’instant à 240 000 tonnes dans le projet actuel, il n’est pas impossible que cette capacité soit revue à la hausse lorsque la pression se fera de plus en plus forte pour trouver une solution à un certain nombre de collectivités en difficulté.

Dans tous les cas, on voit bien que le futur délégataire des deux incinérateurs n’aura aucune difficulté à l’avenir pour assurer le remplissage de ses fours. De plus, avec 56% des capacités d’élimination des déchets et même 92% des capacités d’incinération sur l’ensemble de la zone de chalandise, le futur opérateur se trouvera de fait dans une position largement dominante sur le traitement des déchets résiduels.

Conclusion

Dans le cadre du renouvèlement du contrat de gestion de ses deux incinérateurs, le syndicat DECOSET a choisi de continuer à déléguer sa compétence à un opérateur privé, cette fois-ci à travers un seul contrat. Cependant, dans l’absolu rien ne l’empêchait à cette occasion de réintégrer la gestion d’un, voire même des deux incinérateurs, en interne.
Pour expliquer son choix, le syndicat avance plusieurs arguments. Tout d’abord cela aurait nécessité, selon lui, une forte montée en compétence et en effectif, alors même qu’il a déjà vu ses effectifs passer de 8 à 73 personnes entre 2014 et 2021 suite à la récupération en interne de la gestion des installations de Toulouse Métropole sur son territoire (9). Internaliser la gestion de ses incinérateurs par la création d’une régie nécessiterait d’embaucher plus de 100 salarié-es qualifié-es supplémentaires.
Un autre aspect est celui du financement de la reconstruction de l’incinérateur de Toulouse dont le coût avoisinera les 300 millions d’euros. Selon le syndicat, « l’ampleur de cet investissement rend difficilement envisageable sa prise en charge intégrale par le Syndicat, eu égard aux contraintes budgétaires qui lui sont propres. » Le seul coût de construction du futur incinérateur de Toulouse reviendrait à 36 €/t de déchets incinérés pendant la totalité du contrat, alors que « le coût moyen actuel supporté par DECOSET au titre de l’incinération (pour les deux UVE) est de l’ordre de 50 €/T. »

Face à ces arguments il convient cependant de rappeler plusieurs points.
Si l’internalisation de la gestion des deux incinérateurs paraît compliqué dès 2025, il aurait certainement été possible de récupérer la gestion d’au moins un des deux en interne, comme la Métropole de Lyon qui gère en régie l’incinérateur de Gerland (270 000 t/an) mais a délégué à SUEZ celle de son deuxième incinérateur de Rillieux-la-Pape (180 000 t/an) (10).
Une autre alternative aurait pu être de limiter la durée de la DSP à 5 ans par exemple, ce qui aurait laissé le temps au syndicat de monter en compétence et de recruter suffisamment de personnel qualifié pour reprendre en interne la gestion d’un ou deux incinérateurs en 2030.
Dans les deux cas, ces solutions auraient, cependant, certainement un impact sur le coût de l’incinération pour les habitant-es du territoire. En effet, le fait de permettre à un seul opérateur d’exploiter la totalité des capacités d’incinération sur la durée maximale de 20 ans est finalement ce qui permet de « lisser » au maximum le coût de la reconstruction.

Il est cependant possible de douter de la capacité et la volonté de DECOSET d’assurer un bon contrôle de la gestion du futur délégataire, étant donné les manquements pointés par la CRC Occitanie dans son dernier rapport. De plus le syndicat s’apprête à placer dans les mains d’un seul opérateur privé plus de 92% des capacités d’incinération sur sa zone de chalandise, ce qui le placera de fait dans une situation de quasi-monopole sur ce secteur. Enfin, d’après le PRPGD de la région Occitanie, les capacités d’enfouissement au niveau régional vont devoir baisser drastiquement d’ici 2031 ce qui va entraîner un transfert important de déchets vers les incinérateurs qui vont devenir la solution de dernier recours pour des collectivités qui sont encore totalement dépendantes de leur centre d’enfouissement. Donc, non seulement le futur délégataire sera en position dominante, avec un risque de dérive des tarifs pratiqués, mais en plus il ne sera soumis à aucun risque pour remplir ses incinérateurs, et donc assurer ses revenus, ce qui est contraire au principe même de la délégation de service public.