En 2020 l’incinérateur de Toulouse est celui qui a émis le plus d’oxydes d’azote parmi tous les incinérateurs français avec 322 tonnes, plus du double de l’incinérateur de Calce en Pyrénées-Orientales, deuxième du classement avec 156 tonnes. Il en a même émis autant que les 3 plus gros incinérateurs français réunis ! Que sont ces oxydes d’azote et quel est leur impact ? Quels sont les niveaux réellement émis et comment se compare-t-on au niveau national ? Qui est censé surveiller ces émissions ? Et surtout comment en est-on arrivé là et qu’est-il possible de faire pour améliorer la situation ?

La pollution de l’incinérateur

Que sont les oxydes d’azote ?

Les oxydes d’azote sont des composés chimiques formés d’oxygène et d’azote, correspondant à une formule chimique NxOy. Parmi les oxydes d’azote, le terme « NOx » est utilisé spécifiquement pour caractériser les émissions de polluants correspondant à la somme des quantités de monoxyde d’azote NO et de dioxyde d’azote NO2.

La combustion des combustibles fossiles et de la biomasse, dans les foyers fixes, d’une part, et des combustibles gazeux et liquides dans les moteurs thermiques, d’autre part, génère des émissions d’oxydes d’azote (NOx). Les principaux émetteurs de NOx sont les transports routiers (d’où une politique de réduction au moyen de pots catalytiques par exemple). Les installations de combustion (incinérateurs, centrales thermiques, chauffages, etc.) sont aussi une source importante de NOx. Même pour des sources de petite puissance : NO2 se rencontre à l’intérieur des locaux où fonctionnent des appareils au gaz tels que gazinières ou chauffe-eau à gaz.

NO est un gaz irritant pour les bronches tandis que le dioxyde d’azote NO2 est mortellement toxique. Ces molécules pénètrent facilement les bronchioles, affectent la respiration et provoquent une hyperréactivité des bronches chez les asthmatiques, ainsi qu’une vulnérabilité accrue des bronches aux microbes, au moins chez les enfants.

Réglementation

Avant 2002, en France, aucune limitation n’était imposée aux incinérateurs, dont les émissions n’étaient pas contrôlées. Seules quelques recommandations d’exploitation étaient données dans un arrêté de 1991 (1), mais qui ne concernaient pas les oxydes d’azote. En 2000, une directive européenne vient fixer pour la première fois des normes d’émissions pour les incinérateurs, c’est cette norme qui a été transposée dans le droit français à travers l’arrêté du 20 septembre 2002 (2).

Cet arrêté vient fixer une valeur maximale de rejets atmosphériques des NOx pour les installations d’incinération à 200 mg/Nm3 en moyenne journalière. Cette valeur limite ainsi que les conditions de mesure des rejets sont rappelées dans l’arrêté préfectoral d’autorisation de l’incinérateur du 28 décembre 2004 qui réglemente l’activité de l’exploitant du site (3). Il est à noter que ces moyennes journalières d’émissions sont mesurées pendant les phases de fonctionnement effectif, c’est-à-dire hors des phases de démarrage et d’arrêt des fours durant lesquelles les émissions sont sensiblement plus élevées.

Par ailleurs, des incitations économiques ont aussi été mises en place afin d’inciter les exploitants d’installations d’incinération à aller au-delà de leurs simples obligations réglementaires. Ainsi, dans le cadre de la mise en œuvre des engagements du Grenelle de l’Environnement de 2009, la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP), qui ne s’appliquait jusque-là qu’aux tonnages de déchets envoyés en installations de stockage, est étendue aux incinérateurs à travers la loi de finances de 2009 (4).

Cette évolution permet ainsi d’envoyer un signal aux collectivités en charge de la collecte des déchets pour les inciter à orienter leurs déchets vers des modes de traitement généralement jugés plus vertueux mais aussi plus onéreux, comme le recyclage. Dans ce cadre, des réductions de TGAP peuvent être accordées aux installations présentant de bonnes performances énergétiques et environnementales, afin là aussi d’encourager les démarches vertueuses.

Ainsi à partir de 2013, les installations qui émettent moins de 80 mg/Nm3 de NOx ont vu leur TGAP passer à 7 €/tonne de déchets incinérée contre 14 €/tonne pour les autres. La valeur de la TGAP s’est vue réhaussée par la suite à travers la loi de finances de 2019 qui a acté une augmentation progressive jusqu’à atteindre 25 €/tonne en 2025 avec un durcissement des conditions pour prétendre aux réductions (5).

Niveaux d’émissions

Les mesures mensuelles de rejets en NOx sur chacune des 4 lignes de l’incinérateur pour l’année 2020, réalisées en continu par l’exploitant, sont présentées dans la figure suivante, les données sont issues du Dossier d’Information du Public pour l’année 2020. Ces moyennes mensuelles étaient comprises entre 133 et 186 mg/Nm3 et les moyennes annuelles entre 149 et 165 mg/Nm3.

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En plus de cette autosurveillance, un contrôle externe des niveaux d’émission est effectué deux fois par an par un organisme agréé. En 2020, ces contrôles montraient des niveaux compris entre 108 et 187.9 mg/Nm3. Un des contrôles indiquait même une valeur à 257 mg/Nm3, bien au-dessus de la valeur limite d’émission à 200 mg/Nm3. L’exploitant indique dans son rapport annuel avoir procédé à un examen plus poussé et un nouveau contrôle mais dont les résultats n’étaient pas disponibles au moment de la rédaction du rapport.

Comparaison des niveaux d’émission

La figure ci-dessous indique les niveaux d’émission en NOx des 10 plus gros incinérateurs français, celui de Toulouse étant le 8ème dans ce classement avec 330 000 tonnes. Sont indiquées les moyennes annuelles des concentrations en oxydes d’azote produits par chaque unité. L’ensemble des données sont issues des rapports annuels d’activité ou des dossiers d’information du public de chaque incinérateur.

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Il apparaît de cette comparaison que l’incinérateur de Toulouse est, de loin, celui qui avait la plus forte concentration moyenne d’oxydes d’azote en 2020 avec 156 mg/Nm3, loin devant l’incinérateur de Fos-sur-Mer, deuxième de ce classement avec 61 mg/Nm3. Si on exclut l’incinérateur de Toulouse, la moyenne d’émission des 9 autres incinérateurs est de 49 mg/Nm3, soit 3,2 fois moins qu’à Toulouse.

Si on élargit cette comparaison aux 30 plus gros incinérateurs français, on constate que seuls 5 dépassaient les 80 mg/Nm3 d’émission d’oxydes d’azote en 2020, dont les 2 gérés par le syndicat DECOSET, celui de Toulouse (156 mg/Nm3) et celui de Bessières (123 mg/Nm3). Par ailleurs, parmi ces 5 incinérateurs, seul celui de Toulouse est situé dans une zone urbaine à forte densité d’habitation.

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Flux annuels

Le Registre français des Rejets et des Transferts de Polluants (RRTP) est un inventaire national des substances chimiques et/ou des polluants potentiellement dangereux rejetés dans l’air, l’eau et le sol (6). Un arrêté (7) défini la liste des établissements soumis à cette déclaration annuelle ainsi que la liste des polluants concernés et les seuils de déclaration obligatoire. Pour les installations d’incinération sont concernées toutes celles qui rejettent plus de 100 tonnes d’oxydes d’azote par an.

Entre 2005 et 2020 le nombre d’installations qui rentrent dans cette catégorie est passé de 51 à 16, la majeure partie ayant réalisée des travaux de mise aux normes ou étant arrivée en fin de vie. Sur les 16 incinérateurs qui émettaient encore plus de 100 tonnes de NOx en 2020, l’incinérateur de Toulouse se démarque nettement avec 322 tonnes émises soit plus du double de l’incinérateur de Calce dans les Pyrénées-Orientales, deuxième de ce classement avec 156 tonnes.

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Sur toute l’année 2020, il en aura même émis autant que les trois plus gros incinérateurs français réunis (Ivry-sur-Seine 148 tonnes, Saint-Ouen 118 tonnes, Issy-les-Moulineaux 71 tonnes). Ces trois incinérateurs sont gérés par le syndicat des déchets du Grand Paris (SYCTOM) et servent à traiter la majeure partie des déchets produits sur le territoire parisien, soit l’équivalent de 6 millions d’habitant-es, à comparer aux 1 000 000 d’habitant-es du périmètre de DECOSET.

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Evolution des émissions

Si l’on regarde l’évolution des émissions de NOx de l’incinérateur depuis 2007, on constate que celles-ci étaient globalement stables, autour de 200 tonnes/an, entre 2007 et 2015 puis ont fortement augmenté, de + 60 % entre 2015 et 2020, soit +12% par an en moyenne.

Or la capacité de l’incinérateur n’a pas été modifiée sur cette même période et est restée globalement autour des 280 000 tonnes incinérées par an. Cette augmentation reflète donc, soit une évolution de la composition des déchets entrants, qui paraît peu probable dans cette proportion, soit une évolution du fonctionnement interne de l’incinérateur liée à l’incinération des déchets ou au traitement des fumées.

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Cette évolution récente n’est cependant pas l’unique cause de la situation actuelle puisque, sur les 15 dernières années, l’incinérateur de Toulouse est arrivé 10 fois en tête du classement des installations d’incinération les plus émettrices de NOx en France.

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Origine des déchets

Les deux incinérateurs gérés par DECOSET disposent, à eux deux, d’une capacité maximale de 479 000 tonnes. D’après DECOSET, sur les 431 000 tonnes de déchets valorisés et traités par le syndicat en 2020, 70 % l’ont été par valorisation énergétique, soit 302 000 tonnes (24). Par ailleurs, l’étude des deux rapports d’activité 2020 des incinérateurs de Toulouse et de Bessières nous apprend que la répartition des déchets entrants est la même entre les deux incinérateurs, avec 60 % des déchets qui proviennent des ménages et assimilés situés sur le territoire de DECOSET, 15 % des activités économiques et 25 % de collectivités extérieures au territoire de DECOSET.

Au total ce sont donc 118 000 tonnes de déchets incinérés qui proviennent de l’extérieur du territoire de DECOSET. Les capacités d’incinération du syndicat sont donc surdimensionnées par rapport à ses besoins et cela ne devrait aller qu’en augmentant étant donné les obligations de réduction des quantités de déchets produites.

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Le syndicat de traitement des déchets de Hautes-Pyrénées (SMTD 65) par exemple ne dispose pas de capacité de traitement des déchets résiduels sur son territoire et exporte 38 500 tonnes par an aux deux incinérateurs de DECOSET, 23 500 tonnes à Toulouse et aux alentours de 15 000 tonnes par an à Bessières (25).

L’incinérateur de Toulouse dispose donc d’une surcapacité permanente de 70 000 tonnes d’incinération pour laquelle l’exploitant VEOLIA est libre de négocier des contrats avec d’autres collectivités dans les limites géographiques fixées par son arrêté préfectoral. Etant donné les éléments présentés auparavant, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de faire venir des milliers de camions de toute la région pour incinérer des dizaines de milliers de tonnes de déchets dans l’incinérateur le plus polluant de France en termes d’émissions d’oxydes d’azote, le tout en pleine zone urbaine dense.

Comment en est-on arrivé là ?

Explications

Le fonctionnement de chaque incinérateur et la composition des déchets qu’ils brûlent est sensiblement identique et, sans aménagement particulier, les niveaux d’émission d’oxydes d’azote devraient être proches. L’ensemble des incinérateurs qui émettent moins de 80 mg/Nm3 de NOx ont donc nécessairement réalisé des travaux afin de faire baisser leurs niveaux d’émission ou, pour les plus récents, ont intégré des dispositifs de réduction des émissions au moment de leur construction.

Les niveaux élevés d’émission de NOx de l’incinérateur de Toulouse pourraient être dus à son ancienneté, étant donné qu’il fait partie des plus anciens incinérateurs encore en activité en France. Cependant l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine, qui a aussi été construit en 1969, émet, lui, 3 fois moins d’oxydes d’azote (49 mg/Nm3 contre 156 mg/Nm3).

De plus l’autre incinérateur géré par DECOSET, celui de Bessières, qui a lui été construit en 2001, présente aussi des niveaux d’émission de NOx au-dessus de 80 mg/Nm3. Or dans son cas il aurait très certainement été possible d’intégrer des équipements de réduction des rejets de NOx lors de sa construction ou de faire réaliser ces travaux par la suite. 

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La lecture du compte-rendu de la Commission de Suivi de Site du 23 septembre 2011 (8) apporte un éclairage intéressant sur le sujet. M. Beyney, président du syndicat DECOSET à l’époque, y explique que les élu-es ont choisi de ne pas effectuer les travaux qui permettraient d’abaisser les niveaux d’émission en dessous de 80 mg/Nm3 pour des raisons principalement économiques. Considérant que les quantités d’oxydes d’azote émises par l’incinération étaient faibles par rapport à celles dues au transport, les élu-es ont choisi de ne pas investir les 40 millions d’euros nécessaires pour réaliser ces travaux, contrairement à la plupart des agglomérations françaises en charge d’un incinérateur.

Plan de protection de l’atmosphère

Les Plans de Protection de l’Atmosphère (PPA) sont établis sous l’autorité des préfet-ètes de départements et mettent en place des mesures de réduction des émissions de polluants atmosphériques et d’amélioration de la qualité de l’air. L’objectif est de protéger la santé des populations et l’environnement en maintenant ou ramenant les concentrations en polluants dans l’air à des niveaux inférieurs aux valeurs limites réglementaires. Les PPA sont obligatoires dans toutes les agglomérations de plus de 250 000 habitant-es et dans les zones où les valeurs limites et les valeurs cibles sont dépassées ou risquent de l’être (9).

Un premier PPA a été mis en place sur l’agglomération toulousaine entre 2006 et 2010. Cinq sites industriels émettant plus de 50t/an de NOx ont été identifiés à cette occasion (incinérateur SETMI, TERREAL, AIRBUS, IMERYS TC, CONSTELLATION UTILITES SERVICES). Des études technico-économiques ont été prescrites sur l’ensemble des sites par des arrêtés préfectoraux signés entre mai et juin 2007 (10).

Un arrêté préfectoral a donc été publié en 2007 demandant la réalisation d’une étude sur les possibilités de réduction des NOx émis par l’incinérateur de Toulouse (11). Cette étude concluait que « Si la réduction supplémentaire des rejets de NOx émis par le site de l’UVE paraît séduisante au premier abord, son intérêt écologique n’est pas démontré. En outre, cette réduction ferait passer le poids du site de la SETMI dans la production régionale de NOx de 0,6 % à 0,3%, ce qui reste très marginal, alors que sa production de CO2 serait accrue. »

Sans préjuger du contenu de l’étude en elle-même à laquelle nous n’avons pas eu accès, la comparaison des émissions au niveau régional dans ce résumé semble peu pertinente étant donné que le but de cette étude est d’évaluer les possibilités d’amélioration de la qualité de l’air sur l’agglomération toulousaine et non pas à l’échelle de la Région Occitanie.

En comparaison, la région Ile de France s’était, elle, fixée clairement comme objectif dans son premier PPA 2005-2010 l’abaissement à 80 mg/Nm3 de la concentration en NOx des émissions des incinérateurs d’ordures ménagères situés dans le périmètre francilien. Au moment de la révision de son PPA en 2013 elle pouvait ainsi indiquer : « Les objectifs de la mesure réglementaire 2 sont atteints en 2010 et ont permis une réduction de 89 % des émissions en NOx dans le domaine de l’incinération des déchets entre 2007 et 2009, soit de 1,5 % des émissions franciliennes de 2007 » (12).

Zone à faible émission mobilité (ZFEm)

En 2019, l’État français a été condamné par la Cour de Justice de l’Union Européenne pour manquement à l’application du droit communautaire relatif aux normes de qualité de l’air concernant les dioxydes d’azote (NO2), considérant que les actions présentées par la France n’étaient pas suffisantes pour réduire la pollution (13). En juillet 2020, l’État français a par ailleurs été sanctionné par le Conseil d’État au motif que les actions mises en œuvre sur le territoire national pour lutter contre la pollution de l’air n’étaient pas suffisamment probantes (14).

En réponse à ces condamnations, la Loi d’Orientation des Mobilités du 26 décembre 2019 a introduit l’obligation de mise en place d’une Zone à Faibles Émissions Mobilité (ZFEm) pour 14 collectivités, selon des critères précisés par le décret n°2020-1138 du 16 septembre 2020 (15). Toulouse Métropole fait partie des 14 agglomérations obligées car elle subit un dépassement récurrent du seuil réglementaire lié au dioxyde d’azote, malgré une tendance globale à l’amélioration de la qualité de l’air depuis plus de 10 ans.

La Métropole a donc mis en place sa ZFEm le 1er mars 2022, le périmètre de celle-ci étant amené à monter en puissance progressivement jusqu’en 2024 (16). Etant donné le renouvellement naturel du parc automobile, il est prévu que les quantités d’oxydes d’azote émises par le trafic routier sur la Métropole diminuent de manière tendancielle de 36% entre 2017 et 2024. La ZFEm viendra s’ajouter à cet effet « naturel » en interdisant la circulation dans le centre-ville à environ 47 000 véhicules parmi les plus polluants (17), ce qui entraînera une diminution supplémentaire de 13% des émissions de NOx en 2024, soit 360 tonnes en moins par an (18). Les quantités de NOx émises par l’incinérateur (322 tonnes en 2020) sont ainsi globalement équivalentes aux quantités que la Métropole a prévu d’éviter d’ici à 2024 grâce à la mise en place de la ZFEm (360 tonnes).

On peut imaginer que la mise en place de dispositifs de traitement des oxydes d’azote plus performants sur l’incinérateur aurait donc eu un effet non négligeable sur la qualité de l’air sur la Métropole. Dans l’hypothèse où cette démarche aurait permis d’éviter d’avoir recours à des mesures aussi contraignantes pour la ZFEm, cela aurait aussi eu pour avantage d’éviter de faire peser tout le poids de la réduction des émissions sur les ménages possédant les voitures les plus polluantes, qui sont aussi souvent les moins aisés. Enfin les habitant-es vivant à proximité de l’incinérateur se voient, eux-elles, subir une double peine puisque, en plus des émissions polluantes de l’incinérateur, ils vont devoir subir les émissions supplémentaires dues au report du trafic des véhicules les plus polluants du périphérique Ouest vers la rocade Arc-en-Ciel.

Nouvelle norme d’émission

Le Code de l’Environnement définit le cadre réglementaire dans lequel s’inscrivent les activités de traitement des déchets telles que l’incinération et oblige notamment les incinérateurs à respecter un « principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable » (19). Les normes d’émissions polluantes appliquées aux incinérateurs ne sont donc pas uniquement déterminées par des considérations de santé publique mais plutôt le fruit de compromis entre la nécessité de protéger la population de la pollution qu’ils génèrent et la faisabilité technique et économique des mesures de protection.

Les meilleures techniques disponibles à un instant donné pour réduire la pollution due aux installations d’incinération sont décrites par la Commission Européenne dans un document de référence le BREF incinération. Celui-ci a été révisé en 2019 (20), imposant des normes plus strictes sur un certain nombre d’émissions polluantes des incinérateurs dont celles d’oxydes d’azote. La nouvelle valeur limite d’émission de NOx est dorénavant fixée à 80 mg/Nm3 sauf dans certains cas où des dispositifs plus performants ne peuvent pas être mis en place techniquement, dans ce cas le préfet peut accorder des dérogations jusqu’à 180 mg/Nm3 (21).

Le syndicat DECOSET a donc jusqu’à fin 2023 pour réaliser les travaux de mise aux normes de ses deux incinérateurs, ce qu’il se refusait à effectuer jusque-là. C’est la raison de la phase de travaux de 2 ans qui a démarré sur les incinérateurs de Toulouse et Bessières pour un montant de 46 millions d’euros (22). Dans le cas de l’incinérateur de Toulouse, une dérogation a cependant été accordée par la préfecture et sa nouvelle valeur limite d’émission sera de 150 mg/Nm3 et non 80 mg/Nm3. Etant donné l’écart avec les autres incinérateurs français, à l’issue de cette phase de travaux, l’incinérateur de Toulouse devrait donc toujours être l’incinérateur le plus polluant de France en termes d’émission d’oxydes d’azote. De plus, malgré son coût, cette mise aux normes n’aura qu’une courte utilité puisque l’incinérateur de Toulouse devra être totalement rénové ou démantelé d’ici 2030 (23).

Et maintenant ?

Que penser de cette situation ?

La pollution due à l’incinérateur de Toulouse n’est pas tant un problème sanitaire qu’un problème politique. Même si les émissions d’oxyde d’azote sont réelles et ne doivent pas être négligées, il n’en est pas moins vrai que l’incinérateur respecte les normes d’émissions qui lui sont imposées et qu’il s’inscrit dans un environnement déjà fortement pollué par ailleurs. Il est malgré tout possible de se questionner sur la taille de cette installation qui est surdimensionnée par rapport aux besoins du territoire et sur la pertinence de la présence d’un tel équipement dans un environnement urbain.

Mais au-delà de ces aspects, cette situation est surtout révélatrice de l’état d’esprit des élus qui ont eu à s’occuper de la gestion des déchets toulousains depuis des années.

L’incinérateur de Toulouse a toujours offert un moyen facile de faire « disparaître » les déchets tant qu’on était prêt à fermer les yeux sur les ressources qui étaient ainsi détruites et sur les rejets polluants générés. De plus la valorisation énergétique de la chaleur produite à travers les réseaux de chaleur urbains de Toulouse permet de tirer des bénéfices de l’incinération, que certains vont même jusqu’à considérer cyniquement comme une énergie renouvelable.

La plupart des élu-es toulousain-es en charge de la gestion des déchets considèrent l’incinérateur de manière positive et ne voient pas particulièrement d’intérêt à limiter son utilisation ni même à diminuer la pollution qu’il génère. La seule politique de gestion des déchets qui ait été appliquée jusqu’à présent est celle de la réduction des coûts à court-terme, au détriment de la qualité de vie des Toulousain-es et au mépris des obligations réglementaires de réduction des déchets en vigueur.

Contrairement à la plupart des grandes agglomérations françaises, Toulouse a choisi de ne pas réduire les quantités d’oxydes d’azote émises par son incinérateur que ce soit en effectuant des travaux pour limiter ses émissions ou en diminuant sa capacité. De manière très révélatrice, alors qu’il était interrogé en 2011 sur l’intérêt d’anticiper une évolution à la baisse des niveaux d’émissions en NOx à l’avenir, l’ancien président de DECOSET M. Beyney avait alors refusé en indiquant que, pour lui, « l’objectif est de traiter les problèmes lorsqu’ils se rencontrent » (26). Cette phrase à elle-seule résume le manque d’ambition et d’anticipation qui a caractérisé jusqu’à présent la gestion des déchets par Toulouse Métropole et DECOSET. Sur le sujet des émissions de NOx, comme sur celui des biodéchets, de l’extension des consignes de tri ou de la prévention des déchets en général, les mesures prises sont généralement insuffisantes, en retard sur les échéances, non cohérentes entre elles et finissent au bout du compte par coûter plus cher que si elles avaient été anticipées.

Que peut-on faire ?

A court terme la concentration en oxydes d’azote émise par l’incinérateur devrait être réduite d’environ 25 % grâce aux travaux en cours et il serait possible de les réduire de 25 % supplémentaire en limitant les apports de déchets en provenance de l’extérieur du territoire. Malgré cela, l’incinérateur continuerait à être l’un des plus polluants en France en termes d’émission de NOx.

La vraie question est : que faire de l’incinérateur à l’avenir ?

Etant donné son ancienneté, une concertation publique va bientôt avoir lieu sur le projet de rénovation ou reconstruction de l’incinérateur à l’horizon 2030. Si l’on se cantonne au sujet de la pollution aux oxydes d’azote, il n’y a évidemment aucun problème à reconstruire un incinérateur de même capacité, qui devrait, on l’espère, disposer des technologies les plus récentes de réduction des émissions. Mais, à l’occasion de cette refonte du principal dispositif de traitement des déchets toulousains, n’est-il pas enfin temps de se doter d’une politique ambitieuse de gestion des déchets ?

Au travers du rapport « Incinérateur de Toulouse – Stop ou Encore ? » (27), disponible sur notre site, nous souhaitons proposer une alternative à la politique pro-incinération qui a été celle de la Métropole jusqu’à présent. Nous démontrons notamment comment il serait possible de diviser par 2 la quantité de déchets à incinérer d’ici 2030, en nous appuyant sur une analyse de la situation actuelle et sur de nombreux retours d’expériences d’autres collectivités en France et à l’étranger.

Ce plan repose sur le déploiement de solutions techniques (prévention des déchets, tri à la source des biodéchets, collecte des recyclables) couplées à des mécanismes d’incitation financière. Cette diminution massive permettrait de réduire fortement la capacité de l’incinérateur tout en apportant de nombreux bénéfices écologiques, économiques et sociaux à la Métropole et à ses habitant-es. Cette vision n’a rien d’utopique puisqu’elle a déjà été réalisée dans d’autres agglomérations, par exemple à Besançon qui, après avoir appliqué un programme ambitieux de réduction de ses déchets, vient de fermer un des deux fours de son usine d’incinération (28).

Mais elle suppose la mise en place d’un vrai plan stratégique de réduction des déchets doté d’un budget conséquent, à l’exemple de ce que fait la Métropole de Grenoble. En effet celle-ci s’est dotée récemment d’un Schéma Directeur des Déchets doté d’un budget de 240 millions d’euros avec l’objectif clairement affiché de diviser par deux sa production de déchets par habitant-e d’ici 2030 (29). Ce n’est que dans le cadre d’un plan de ce type qu’il serait possible de définir une trajectoire de réduction des déchets à la hauteur des enjeux et d’en déduire ensuite les besoins futurs en capacité d’incinération.

Résumé

  • L’incinérateur de Toulouse, construit en 1969, est un des plus anciens de France encore en activité et il est situé en pleine zone urbaine à forte densité de population, à proximité immédiate d’établissements scolaires et d’habitations ;
  • C’est de loin l’incinérateur le plus polluant de France en termes d’émissions d’oxydes d’azote, il en a émis 322 tonnes en 2020 soit deux fois plus que le deuxième et autant que les 3 plus gros incinérateurs français réunis ;
  • Parmi les 30 plus gros incinérateurs français en 2020, seuls 5 dépassaient les 80 mg/Nm3 dont les deux incinérateurs gérés par DECOSET ;
  • L’incinérateur de Toulouse est surdimensionné par rapport aux besoins du syndicat et 25% des déchets incinérés proviennent de l’extérieur du territoire ;
  • Des travaux de mise aux normes sont prévus sur les 2 prochaines années pour un montant de 46 M€ mais qui ne devraient diminuer que d’environ 25% les émissions d’oxydes d’azote. L’incinérateur de Toulouse devrait donc toujours être le plus polluant de France après ces travaux qui, de plus, n’auront d’utilité que pour 7 à 8 ans avant qu’il ne soit démantelé ;
  • Une étude réalisée en 2007 dans le cadre du Plan de Protection de l’Atmosphère avait montré que la réduction des émissions de NOx n’avait pas d’intérêt écologique démontré, un grand nombre d’agglomération ont cependant réalisé ces travaux à la même époque sur leurs incinérateurs ;
  • La Métropole de Toulouse vient de mettre en place une Zone à Faible Emission mobilité pour diminuer les émissions de NOx dues au trafic routier, les quantités évitées à l’horizon 2024 devraient être du même ordre de grandeur que celles émises par l’incinérateur.