Début mai dernier, l’association Consign’Up lançait sa première expérimentation pour réintroduire la consigne dans le territoire toulousain. Ce collectif d’une dizaine de personnes espère prouver aux consommateurs toulousains, aux producteurs et aux distributeurs que nous avons tout à gagner à pratiquer le réemploi. Retour sur la genèse du projet Consign’Up avec Marion Lembrez, porteuse du projet initial.



Peux-tu revenir sur la genèse du projet ?  

J’ai travaillé pendant de nombreuses années dans la grande distribution en France et à l’étranger, mais aussi à Biocoop. Quand je suis arrivée à Toulouse, il y a deux ans, j’avais envie de m’investir dans un projet de territoire. C’est comme ça que j’ai répondu à un appel à projets du Parcours de l’incubateur Première Brique sur la thématique de l’économie circulaire. L’idée de la consigne m’est venue rapidement, car cela faisait longtemps que j’étais sensible au non-sens de la pratique du recyclage des bouteilles en verre. J’ai donc proposé cette idée de créer un réseau de consignes à l’appel à projets et l’idée a finalement été sélectionnée.

J’ai donc pu commencer à étudier plus en profondeur le concept pour savoir si le volume de bouteille en verre était suffisant dans la région. Une étude de marché a été réalisée et j’ai fini par rencontrer les parties prenantes pour me rendre compte de la faisabilité du projet et déterminer si les acteurs étaient prêts à changer leurs pratiques.

Copyright : Consign’Up

Quels ont été les retours de ton étude de faisabilité ?

Que se soient les producteurs de vins, les brasseurs, les entreprises logistiques les usagers et les distributeurs, l’accueil fût très positif. La volonté de changer de modèle était perceptible et les volumes de bouteilles largement suffisants. Mais nous avons estimé que la mise en place de ce réseau prendrait tout de même un certain temps avant d’être totalement viable.

Qu’est-ce qui t’a inspiré ?

Rapidement, j’ai pris connaissance du réseau consigne qui met en lien tous les projets français autour de la thématique de la consigne. Je me suis beaucoup documentée, j’ai étudié d’autres projets déjà installés en France comme ceux dans le Jura, dans la Drôme et l’Ardèche, ou encore en Bretagne, en Provence, et à Lyon.

Il y a de plus en plus de projets qui émergent même dans des régions non viticoles. À ce propos, une association nationale a été créée autour de ces projets de consigne pour encourager les synergies entre les différents porteurs mais aussi pour avoir les mêmes gammes de bouteilles par exemple.

Combien de volume sont nécessaires pour que ce réseau fonctionne ?

Sur la région toulousaine, nous avons estimé qu’il fallait collecter 700 000 bouteilles par an pour que le réseau fonctionne. Ce sont 700 000 bouteilles qu’il faut par ailleurs laver et revendre, ce qui implique que les producteurs soient prêts à les racheter et que les usagers soient prêts à les retourner. C’est là que le temps est précieux pour faire évoluer les habitudes.  

Un autre point déterminant, c’est la qualité de la bouteille elle-même. En effet, pour être réutilisable jusqu’à 20 fois, elle doit être plus lourde et plus épaisse. Donc ce réseau ne peut pas fonctionner avec toutes les gammes de bouteilles. Beaucoup doivent évoluer vers plus de durabilité.

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Comment fonctionne le recyclage du verre dans notre région ?

À Toulouse, les débris de verre déposés dans les récup’verre sont transportés jusqu’à la verrerie d’Albi pour être triés, lavés et brûlés à 1500 °C pendant 24 h. Ensuite, ils servent en partie à fabriquer de nouvelles bouteilles.

En effet, il n’y a qu’une partie, le calcin, qui sera réutilisé pour fabriquer de nouvelles bouteilles soit 30 % de la bouteille initiale. Le reste sert à fabriquer du goudron pour les routes par exemple. Pour fabriquer de nouvelles bouteilles, il y a un besoin de matières brutes comme du sable ou du silicium.

La verrerie d’Albi fabrique essentiellement des bouteilles haut de gamme comme les bouteilles de Ricard. Des bouteilles de spiritueux qui partent ensuite partout dans le monde.

Elles sont donc loin d’être revendues sur le territoire, et c’est bien de le savoir, car on cherche à nous faire croire que les taux de recyclage sont extraordinaires. En vérité, le modèle est loin d’être optimal. Les verreries fonctionnent en ligne produit en fabriquant une même gamme de bouteilles. Les producteurs doivent donc parfois s’approvisionner bien en dehors du territoire pour avoir une ligne de bouteille spécifique. Par exemple, nous avons rencontré un producteur ariégeois qui doit se fournir aux Émirats arabes pour sa gamme de bouteilles.

Quel coût énergétique ?

En 2009, le cabinet de conseil Deroches Consultant a publié une étude au sujet des bouteilles des Brasseries Météor en Alsace. Elle compare une bouteille consignée par rapport à une bouteille recyclée et démontre que le gain environnemental pour la bouteille consignée est 79 % d’émission de CO², de 73 % d’énergie primaire et de 33 % d’eau de gagner par rapport à une bouteille recyclée.

Évidemment, il faut que la bouteille consignée soit utilisée dans un périmètre restreint, tout simplement car le coût énergétique pouvant être imputable à la consigne, c’est le coût du transport et le nombre d’utilisation de la bouteille.

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Pourquoi la consigne a laissé place au recyclage ?

Dans les années 80, avec l’arrivée de nouveaux emballages plastiques et du tetra, les industriels se sont engouffrés dans cette manne, car c’était innovant, plus léger et ça permettait de développer de nouveaux marchés, plus lointains. Le problème, c’est que parallèlement, ça génèrait énormément de déchets et les collectivités ont commencé à tirer la sonnette d’alarme en tant que gestionnaires du traitement des déchets.

C’est là que la responsabilité énergie des producteurs a été mise en place. On a décidé à ce moment-là d’appliquer une taxe aux emballages pour ensuite la reverser aux collectivités pour leur permettre de pouvoir gérer le maximum de déchet.

En Allemagne, la question s’est posée à la même époque et le pays a fait le choix de la consigne obligatoire. C’était donc un choix politique bien que la consigne perdure toujours en France dans les cafés, hôtels et restaurants.

En quoi consiste l’expérimentation de Consign’Up et quels sont les retours attendus ?

L’expérimentation se fait sur 3 mois avec nos 40 partenaires (20 producteurs, 20 distributeurs et 2 entreprises logistiques). On peut donc retrouver dans ces enseignes quelques gammes de bouteilles de 75 cl consignées, repérables par un petit sticker jaune. Les clients sont donc invités à ramener leurs bouteilles rincées sur les lieux de vente. Ensuite, ce sont les deux entreprises de logistique (Green buro et Applicoli) qui gèrent la collecte. Les bouteilles sont envoyées au lavage à Bordeaux, car il n’existe pas de station de lavage à Toulouse.

Notre objectif est de valider les coûts logistiques, organisationnels, mais aussi le taux de retour des bouteilles et déterminer si le projet est viable. Par ailleurs, nous allons profiter de cette expérimentation pour réaliser une Analyse du Cycle des Bouteilles pour vérifier leur impact environnemental, mais aussi déterminer si elles ont une incidence sur les ventes par rapport à une bouteille classique.

La seconde étape de l’expérimentation va consister à prospecter de nouveaux producteurs et distributeurs pour les inciter à adopter la démarche et grossir le réseau.

Comment sensibiliser les consommateurs ?

Sur les lieux de vente, nous avons mis en place une communication visible au travers d’affiches et de flyers. Nous communiquons beaucoup sur les réseaux sociaux au travers de jeux-concours notamment et les différents partenaires relaient également cette communication. Certains ont décidé d’imposer une consigne financière pour faciliter le retour des bouteilles, mais nous n’avons pas voulu rendre cela obligatoire.

Si l’expérimentation est positive comment Consign’Up projette son développement ?

On aimerait tenter la même démarche avec les bouteilles de 33 cl. Le problème c’est qu’il faut un outil de lavage bien spécifique, différent de celui des bouteilles de 75 cl. Il y a aussi une forte demande pour mettre en place la consigne des bocaux, des pots de miel, mais les outils ne sont pas les mêmes.

Pour l’instant, l’association est exclusivement constituée de bénévoles. Nous nous démenons donc pour rechercher des financements pour faire perdurer le projet dans le temps.  

Copyright : Consign’Up

Ressens-tu des signes annonciateurs d’un changement de paradigme pour ce modèle du recyclage ?

L’adhésion des consommateurs à la consigne des bouteilles en verre sera un signal fort ! Il est navrant de voir encore des projets comme Tropicana changer leur emballage pour adopter le plastique. Ceci prouve que beaucoup d’industriels ne sont pas prêts à changer de modèle. C’est donc aux consommateurs de faire évoluer la norme par leur pouvoir d’achat au sens propre. Si les industriels constatent que les produits consignés rapportent plus d’argent que les autres, le changement se fera de lui-même.

Cela reste une niche pour l’instant, mais je suis persuadée que sur le long terme, la consigne peut bel et bien être un élément de différenciation.

Merci à Marion pour son témoignage. Partagez cet article et suivez l’aventure Consign’Up en adoptant la consigne 🙂

Découvrez le compte rendu de la première assemblée générale du Réseau Consigne qui s’est tenu à Villeurbanne le 1er juillet 2019.