Chaque Toulousain·e produit en moyenne 139 kg de biodéchets (83 kg de déchets alimentaires + 56 kg de déchets verts) par an, soit 30 % de nos déchets ménagers et assimilés. Seuls les déchets verts collectés sont compostés à l’heure actuelle, la totalité des déchets alimentaires collectés sont incinérés alors même que ces biodéchets sont constitués principalement d’eau ! Pour mettre fin à cette aberration et favoriser le retour à la terre de cette matière organique, la loi oblige les collectivités à proposer des solutions de compostage et de collecte des biodéchets à leurs habitant·es à partir de 2024. Toulouse Métropole vient ainsi de se doter d’une Feuille de route Biodéchets 2021-2026 censée répondre à cette obligation. Nous allons voir dans le détail ce qu’il en est vraiment.

Les biodéchets et leur gestion

Les biodéchets, définition et réglementation

Les biodéchets sont constitués « des déchets non dangereux biodégradables de jardin ou de parc et des déchets alimentaires ou de cuisine provenant des ménages, des bureaux, des restaurants, du commerce de gros, des cantines, des traiteurs ou des magasins de vente au détail, ainsi que les déchets comparables provenant des usines de transformation de denrées alimentaire » (article L 541-1-1 du code de l’environnement). Ils regroupent donc à la fois les déchets verts et les déchets alimentaires.

S’ils ne sont pas récupérés à la source et détournés des ordures ménagères, ces biodéchets finiront incinérés ou enfouis alors même qu’ils peuvent être facilement valorisés et produire un engrais naturel riche en nutriments et de l’énergie de différentes manières. Pour éviter cela, la loi de transition énergétique et pour la croissance verte (LTECV) de 2015 a prévu la généralisation du tri à la source des biodéchets d’ici 2025. L’objectif fixé par la LTECV est de « progresser dans le développement du tri à la source des déchets organiques, jusqu’à sa généralisation (…) avant 2025, pour que chaque citoyen·e ait à sa disposition une solution lui permettant de ne pas jeter ses biodéchets dans les ordures ménagères résiduelles ». La dernière loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire (loi AGEC) de 2019 a même avancé cette échéance au 31 décembre 2023. Il reste donc à peine plus de 2 ans aux collectivités pour se mettre en conformité avec la loi en mettant à disposition de leurs concitoyen·nes des solutions afin qu’ils puissent trier leurs biodéchets à la source.

Les biodéchets à Toulouse

En 2019, 32% des ordures ménagères résiduelles (la poubelle grise) étaient constituées de biodéchets soit 85 kg sur les 261 kg produits par chaque habitant·e cette année là. [1] Cette catégorie de déchets représente la part la plus importante de nos ordures ménagères. En tout ce sont ainsi 67 000 tonnes de biodéchets qui ont été collectés pour être ensuite incinérés comme l’intégralité de nos ordures ménagères. Sachant que les biodéchets sont composés d’environ 60% d’eau on mesure l’absurdité de cette soi-disant « gestion » des déchets qui consiste à détruire de la matière parfaitement réutilisable mais même, encore mieux, à gaspiller de l’énergie à brûler de l’eau ! Et comble de l’absurde sur les 3 millions d’euros de Taxe Générale sur les Activités Polluantes payés chaque année par Toulouse Métropole pour incinérer ses déchets, 500 000 € auront donc été déboursés pour brûler de l’eau !

En plus de ces biodéchets présents dans les OMR, on considère que 28 % des foyers toulousains compostaient en 2019 ce qui a permis de détourner 15 000 tonnes de biodéchets de l’incinération. Dans le détail, 62 % des foyers en maison individuelle déclarent composter et seulement 16 % des foyers habitant en appartement. Parmi les 78 000 foyers qui indiquaient ainsi composter en maison en 2019, 29 000 s’étaient équipés grâce aux composteurs vendus par la métropole, les autres ayant acheté leur composteur eux-mêmes ou compostant en tas dans leur jardin.

Il convient enfin de rajouter à ce tableau les 45 000 tonnes de déchets verts produits chaque année par les Toulousain·es, c’est-à-dire les tontes, branches et feuilles issus des parcs et jardins, ce qui représente 59 kg/hab./an. Ceux-ci sont collectés principalement en porte-à-porte dans les communes qui proposent ce service (pour 27 000 tonnes soit 60 % du total) ou envoyés en déchèterie (pour 18 000 tonnes soit 40 %). Ces déchets verts sont traités par compostage (qui est plus facile dans ce cas que pour les biodéchets alimentaires) pour partie sur les plateformes de compostage de Decoset à Ginestous et à Léguevin et pour le reste à travers des marchés publics auprès de différents prestataires.

 

Problématique globale

Le passage progressif à l’agriculture intensive en France et dans le monde au cours du XXème siècle a entraîné une forte dégradation des sols qui est devenue « un problème grave en Europe qui se pose avec une intensité différente mais importante et croissante pour les 27 pays de l’UE. » [2]. La Commission Européenne, sur la base des données disponibles [3], estimait en 2006 que 45 % des sols européens sont aujourd’hui pauvres ou appauvris en matières organiques, surtout dans les pays du sud, mais aussi dans des « régions de France, du Royaume-Uni et d’Allemagne ». Ainsi depuis les années 1950, la teneur des sols en nutriments et en humus, l’engrais naturel des plantes, a baissé d’un tiers, selon les observations du GisSol.[4]

Les nutriments qui sont tirés du sol par les plantes finissent généralement comme les ordures ménagères résiduelles, c’est-à-dire enfouis ou, comme à Toulouse, incinérés. Ce sont donc ainsi chaque année des millions de tonnes d’engrais naturels qui sont extraits des sols français pour être stockés dans des décharges ou, dans le pire des cas, détruits, aggravant d’autant la perte de fertilité des terres agricoles.

Cette dégradation est en partie compensée par l’épandage de fumier et de lisier issu des élevages et par les boues des stations d’épuration. Mais ceci n’est pas suffisant pour compenser les pertes et chaque année 11.5 millions de tonnes d’engrais minéraux sont également épandus, issus à 95 % d’importations. [5] Or les engrais azotés sont synthétisés notamment par recours au gaz naturel (avec une consommation d’énergie correspondante avoisinant 1,1 Mtep en 2017) et les phosphates utilisés pour fournir aux plantes une source de phosphore sont des matières non-renouvelables confrontées à des stocks limités.

Dans cette optique, le tri à la source des biodéchets doit donc permettre d’éviter la destruction de cette matière organique et tous les impacts liés afin de pouvoir retourner à la terre les nutriments qui en sont issus. Que cela soit dans nos jardins ou dans les champs, les biodéchets devront à l’avenir être utilisés pour remplacer les engrais chimiques dont les stocks iront nécessairement en s’épuisant.

Le tri à la source des biodéchets

Le tri à la source des biodéchets, c’est-à-dire au plus près du lieu de génération chez les ménages comme chez les entreprises, est nécessaire pour détourner ce flux de déchet de l’élimination, et permettre un retour au sol de qualité par une valorisation agronomique de ces déchets biodégradables. Le tri à la source généralisé pourra donc s’articuler autour de plusieurs solutions avec pour objectif commun d’offrir une solution de tri à la source des biodéchets pour chaque citoyen·ne de France d’ici 2024. Ces solutions peuvent être, de manière complémentaire, le déploiement de la gestion de proximité des biodéchets (compostage individuel ou partagé) et le déploiement de la collecte séparée des biodéchets via une collecte supplémentaire à mettre en œuvre.

Gestion de proximité

Le compostage domestique consiste à mettre ses déchets de cuisine ou ses restes de repas dans un composteur. Contrairement aux idées reçues, le compostage domestique ne génère pas d’odeurs. Il peut prendre plusieurs formes et s’adapter à divers milieux, en zone rurale comme en zone urbaine :

  • lombricomposteur (composteur individuel basé sur la digestion de déchets alimentaires par des lombrics) en appartement ;
  • bokashi (procédé de compostage urbain consistant en une phase de pré-compostage par fermentation dans un seau étanche avant épandage pour finir de composter à l’air libre) ;
  • composteur domestique de jardin en maison individuelle, notamment en zone rurale ;
  • composteur collectif de proximité, ou compostage partagé, par exemple un « chalet de compostage » en pied d’immeuble.

La gestion de proximité permet tout d’abord de limiter la production de déchets à traiter par le service public et de réduire la facture de gestion des déchets : cela signifie moins de camions de collecte de déchets sur les routes, donc moins de dépenses d’énergie pour leur transport, moins de mise en décharge, moins d’incinération de déchets alimentaires.

L’autre intérêt de cette gestion de proximité est de créer de la matière (du compost) qui permet de limiter les achats d’amendement organique. Le compost se présente comme un terreau qui peut être utilisé sur ses plantes de jardinage ou comme structurant sur le sol du jardin. Les lombricomposteurs permettent également de récupérer des liquides qui peuvent être utilisés comme engrais pour les plantes.

Collecte séparée

Cette solution intervient en complément des solutions de gestion de proximité des biodéchets. La logique consiste généralement à déployer au maximum le compostage de proximité partout où c’est possible et notamment en milieu rural où la plupart des habitant·es disposent d’un jardin et où la pratique du compostage a toujours existé. Dans les milieux urbains où il peut être plus compliqué de proposer des solutions de compostage de proximité, la collecte séparée peut alors être proposé comme solution d’appoint dans les zones les plus denses.

Ce système de collecte consiste à demander aux habitant·es d’une collectivité de trier leurs déchets alimentaires (dans une poubelle dédiée, ou dans un « bio-seau »). La collectivité organise alors régulièrement une tournée de ramassage des déchets alimentaires, avec des camions bennes qui ne collectent que ces biodéchets. Cette collecte peut se présenter sous deux formes en porte-à-porte ou en point d’apport volontaire.

Ces déchets une fois collectés sont ensuite emmenés dans des centre de traitement tels que plateforme de compostage ou méthaniseurs adaptés au traitement des biodéchets alimentaires.

Les déchets verts

La majeure partie des déchets verts sont déjà soit collectés en porte-à-porte soit emmenés en déchèterie pour être ensuite compostés. Le problème dans ce cas n’est donc pas tant de collecter ces déchets pour les traiter que d’essayer de diminuer les quantités et donc de réduire à la source la production de déchets verts à travers deux axes :

  • Le jardinage au naturel avec des techniques telles que le paillage, le broyage, la tonte mulching, permet d’utiliser sur place cette matière organique plutôt que de l’éliminer et de bénéficier ainsi de tous les bénéfices que cela peut apporter en termes d’économies de temps, d’argent et de bénéfices d’usage (plus de protection du sol, plus de biodiversité,…).
  • La gestion différenciée des espaces verts intervient encore en amont en repensant l’aménagement paysager dans sa globalité, en choisissant des espèces plus adaptée au climat et à l’usage que l’on souhaite avoir et en limitant au maximum les interventions (arrosage, taille, coupe,…).

Plan biodéchets

Caractéristiques

Le 24 juin 2021, le conseil de la Métropole a adopté une feuille de route visant le déploiement du tri à la source des biodéchets afin de répondre aux obligations de la loi AGEC. Cette feuille de route est venue renforcer les ambitions de la métropole en termes de compostage, qui étaient issues du Plan Local de Prévention des Déchets. Celui-ci a donc été révisé en conséquence et affiche désormais les objectifs suivants :

  • Atteindre 50 % de compostage parmi les personnes habitant en maisons individuelles (soit le double des 24 % actuels) ;
  • Multiplier par 3 le nombre de sites de compostage collectifs en résidence et de quartier ;
  • Développer un dispositif innovant de collecte en point d’apport volontaire d’ici 2024 avant de généraliser ensuite ce dispositif sur le territoire.

Ces dispositifs doivent être déployés d’ici 2026 et devraient permettre à termes de détourner entre 16 et 33 000 tonnes de biodéchets des ordures ménagères résiduelles à cette date.

Problème

Même si elle peut sembler ambitieuse vu de loin, cette feuille de route pose plusieurs problèmes.

Premièrement elle ne permet pas de respecter l’objectif de généralisation du tri à la source en 2024 puisqu’elle se fixe un objectif de 2026. On peut comprendre que, à peine 2 ans avant la date limite, il soit compliqué d’envisager déployer un dispositif de cette ampleur mais qu’est ce qui empêchait de s’y prendre plus tôt étant donné que cette échéance est connue depuis la Loi de Transition Énergétique de 2015 ?

Deuxièmement le développement du compostage n’est censé couvrir que ¼ de la population, les ¾ restants devant être couverts par la collecte en point d’apport volontaire. Or dans le meilleur des cas celle-ci ne commencera qu’en 2024, une fois que la phase d’expérimentation de point d’apport « innovant » sera terminée. Il est cependant totalement irréaliste d’imaginer que les 3 700 points d’apports prévus à terme seront installés en l’espace de seulement 2 ans, étant donné les très nombreux impacts que la mise en place d’une collecte de ce type aura nécessairement. Il serait donc utile de démarrer l’installation de points d’apport volontaire dès maintenant, quitte à le faire sur une zone test, afin de pouvoir anticiper au mieux toutes les difficultés à venir.

Enfin le principal problème soulevé concerne la phase d’expérimentation autour d’un dispositif « innovant ». De nombreuses collectivités en France et en Europe ont déjà mis en place des points d’apport volontaires en environnement urbain depuis des années. Plutôt que de s’inspirer de retours d’expériences réussies, Toulouse Métropole préfère se lancer dans une phase d’expérimentation hasardeuse de plusieurs années sachant, comme elle le dit elle-même, que « si les résultats de l’expérimentation s’avéraient peu concluants, une collecte en point d’apport volontaire classique serait alors déployée. »

Retour d’expérience

Le SMICTOM d’Alsace Centrale gère la collecte et le traitement de 90 communes et plus de 130 000 habitant·es, répartis en 6 communautés de communes d’Alsace. En complément du compostage de proximité, le syndicat a décidé en 2019 de mettre en place une collecte séparée des biodéchets sur son territoire. Plus de 630 points d’apports volontaires ont donc été installé qui ont permis de collecter 2 900 tonnes de biodéchets en 2020, soit l’équivalent de 22 kg/hab./an. La mise en place de cette nouvelle collecte et de la redevance incitative à la levée ont ainsi permis une diminution impressionnante de -22 % de la poubelle grise en 2020 qui est ainsi passé à 136 kg par habitant·e. [6]

En Italie, l’expérience de Milan, deuxième ville d’Italie, montre que la collecte séparée est aussi envisageable à grande échelle. Même avec 1,34 millions d’habitant·es et 80% d’habitat collectif c’est possible ! Le tri à la source avec collecte en porte-à-porte a été lancé en 2012. La municipalité a mis à la disposition de ses habitant·es un bio-seau, 25 sacs compostables et un conteneur de 120 litres par immeuble. Ce sont désormais 90 kg de biodéchets par habitant·e et par an qui sont collectés (contre 31 kg en 2012). La collecte a permis de réduire considérablement la part des OMR, de 342 kg par habitant et par an en 2011 à 244 kg en 2014. Elle a aussi augmenté la qualité du tri des autres déchets. [7]

Conclusion

Le tri à la source des biodéchets que cela soit sous la forme de compostage de proximité ou de collecte séparée est déjà une réalité depuis de nombreuses années dans beaucoup de villes en France et ailleurs en Europe, même dans des zones urbaines denses. En retard sur le sujet, Toulouse Métropole vient de se doter d’une feuille de route Biodéchets pour 2026, afin de respecter l’obligation de généralisation du tri à la source. Mais cette feuille de route n’est pas à la hauteur des enjeux, elle base l’essentiel de ses résultats escomptés sur une innovation technologique hasardeuse qui, de toute façon, même si elle aboutissait ne permettrait pas d’atteindre les objectifs dans les temps. Plutôt que de s’inspirer d’exemples réussis, Toulouse semble plutôt vouloir temporiser et donne ainsi l’impression de vouloir faire le minimum mais sans s’emparer sérieusement du sujet sur le fond.

Sources :

[1] Toulouse Métropole, Rapport Annuel Déchet 2019
[2] Stratégie thématique en faveur de la protection des sols, (communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen (PE), au Comité économique et social européen et au comité des régions)
[3] AEE (Agence européenne pour l’environnement), 1995, “L’environnement de l’Europe – L’évaluation de Dobríš”
[4] « La fertilité des sols part en poussière », Les Echos, 10 janvier 2016
[5] Les livraisons d’engrais en France, Fiche thématique, Ministère de la Transition Ecologique
[6] SMICTOM Alsace Central Rapport Annuel 2020
[7] La collecte porte à porte des déchets de cuisine dans une ville européenne à forte densité de population : l’étude de cas de Milan