Après avoir étudié, dans notre article précédent, l’évolution de la production des déchets par les habitant·es de la métropole en 2019, nous allons nous intéresser cette fois-ci à leur traitement et en particulier leur incinération. En effet, l’intégralité des Ordures Ménagères Résiduelles (OMR) produites par la Métropole en 2019, soit 207.000 tonnes, ont été incinérées ce qui, si l’on y ajoute les refus des centres de tri et le tout-venant incinérable des déchèteries, aboutit à un total de 225.000 tonnes envoyées à l’incinération en 2019, soit quasiment 300 kg par habitant·e ! C’est l’équivalent d’un Airbus A380 qui est ainsi brûlé chaque jour, ce qui au total aboutirait à remplir la place du Capitole sur 40 m de haut, soit deux fois la hauteur de la façade du Capitole, avec tous les déchets brûlés chaque année !

L’incinération des déchets

Le traitement de ces ordures est géré par le Syndicat de traitement des déchets Decoset qui regroupe Toulouse Métropole, le Sicoval et 6 autres communautés de communes du nord Toulousain. Les Ordures Ménagères Résiduelles (OMR) de Toulouse Métropole sont réparties entre deux incinérateurs gérés par Decoset, les OMR produites par les communes de Toulouse, Blagnac, Cugnaux et Villeneuve-Tolosane, soit 156.000 tonnes (69 % du total) allant à l’incinérateur du Mirail [1], les 69.000 tonnes restantes étant envoyées à l’incinérateur de Bessières [2].

L’incinérateur du Mirail

Mis en service en 1968, l’incinérateur de Toulouse, construit à l’origine à l’extérieur de la ville, en pleine campagne, s’est vu progressivement intégré dans le tissu urbain avec l’étalement de l’agglomération toulousaine. Propriétaire de l’incinérateur, la ville de Toulouse en a confié l’exploitation et l’entretien à la Société d’Exploitation Thermique du Mirail (SETMI), qui est une filiale de Veolia créée spécifiquement afin de gérer cette délégation de service public (DSP) pour une durée de 14 ans entre 2007 et 2021 [3]. La Communauté Urbaine du Grand Toulouse ayant adhéré au syndicat Decoset en janvier 2009, elle lui a alors transféré le contrat de DSP. Ce contrat a été prolongé récemment jusqu’en 2024, afin de laisser le temps de réaliser des travaux de mises aux normes des émissions polluantes, notamment les oxydes d’azote (NOx).

Il est également prévu à cette occasion d’augmenter la capacité de traitement de l’incinérateur. En effet, celui-ci dispose d’un arrêté préfectoral l’autorisant à traiter un maximum de 330.000 tonnes par an alors que sa capacité maximale actuelle est de 285.000 tonnes. Ce sont donc 45.000 tonnes de déchets supplémentaires qui pourraient être envoyés vers l’incinérateur chaque année, augmentant d’autant les rejets et nuisances dus à leur incinération. La raison invoquée est de détourner des déchets de l’enfouissement en décharge vers l’incinération qui est considéré comme plus vertueuse écologiquement parlant car elle permet de récupérer une partie de l’énergie générée sous forme de chaleur afin d’alimenter un réseau de chaleur urbain (nous verrons dans un prochain article que ce système est loin d’être aussi vertueux que présenté par Toulouse Métropole).

L’incinérateur de bessières

Mise en service en janvier 2001, l’incinérateur de Bessières dans le Tarn a une capacité maximale autorisée de 192.000 tonnes par an (dont 69.000 tonnes de Toulouse Métropole en 2017), qui sera ramenée à 170.000 tonnes par an à partir de 2023 [4]. La construction et l’exploitation de l’incinérateur et du centre de tri attenant ont été confiées par délégation de service public à la société Econotre, filiale du Groupe Suez – Lyonnaise des Eaux, le syndicat Mixte DECOSET en deviendra propriétaire à l’issue de la DSP le 7 janvier 2024 [5]

Comme au Mirail, en plus de récupérer une partie de l’énergie des déchets sous forme d’électricité, l’incinérateur de Bessières en utilise également une partie sous forme de chaleur, cette fois-ci pour chauffer 10 hectares de serres maraîchères produisant des tomates.

Une activité toujours très polluante

Malgré des améliorations récentes dans le traitement des rejets des incinérateurs (suite à différents scandales écologiques et sanitaires, notamment liés à la dioxine), l’incinération des déchets reste une activité extrêmement polluante et génératrice de nombreuses nuisances. Le processus d’incinération des déchets génère 3 types de rejets :

  • des résidus solides résultants du processus de combustion appelés mâchefers ;
  • des Résidus de Fumées d’Incinération des Ordures Ménagères (REFIOM) issus du traitement des fumées ainsi que les gâteaux de boues d’épuration ;
  • des rejets gazeux (gaz, poussières, métaux lourds).

Il faut ajouter à cela les nuisances pour les riverain·es, liées notamment au transport : bruit, trafic dû aux camions, odeurs, poussières…

Les mâchefers

Contrairement à une idée largement répandue, l’incinération ne fait pas disparaître les déchets. En effet pour une tonne d’ordures ménagères qui entre dans l’incinérateur, il en ressort à peu près 200 kg sous la forme d’un résidu solide, le mâchefer, qui  est composé principalement de métaux, de verre, de silice, d’alumine, de calcaire, de chaux… En sortie de four les mâchefers sont refroidis, criblés pour retirer les plus gros imbrûlés et déferraillés, puis ils sont soumis à un test de lixiviation, pour mesurer la solubilisation de métaux lourds (Plomb, Mercure, Cadmium…). Selon leur niveau de toxicité, les mâchefers sont alors soit directement valorisables (catégorie V), soit valorisables après maturation (catégorie M), soit doivent être stockés en centre d’enfouissement (catégorie S).

Cependant, même lorsque le mâchefer est considéré comme « valorisable », des précautions doivent être prises quant à son utilisation et une surveillance régulière doit être menée. Ainsi un rapport du Sénat [6] pointe le risque principal posé par l’utilisation du mâchefer qui est celui de « son comportement face aux écoulements d’eau, qu’il s’agisse du ruissellement des eaux de pluie, mais surtout des eaux souterraines. (…) Or, l’eau est le facteur principal de diffusion des polluants. Elle peut, par conséquent, se charger en métaux lourds, avant d’alimenter les eaux souterraines. »

En 2019, 48 768 tonnes de mâchefers issus de l’incinérateur du Mirail ont été utilisées par l’entreprise MALET sur ses chantiers [7] et 35 537 tonnes issues de l’incinérateur de Bessières ont été utilisées en sous couche routière par l’entreprise JEAN LEFEBVRE sur des chantiers du Tarn et de la Haute-Garonne en substitution de la grave issue des carrières [8].

Les REFIOM

Les Résidus d’Epuration des Fumées d’Incinération des Ordures Ménagères (REFIOM) sont le produit de la neutralisation des gaz acides et polluants issus de l’incinération des déchets par des réactifs comme la chaux ou le bicarbonate de sodium. Ils comprennent essentiellement les cendres et les gâteaux de boues issues du lavage des fumées. Ils sont très toxiques et doivent être stabilisés ou solidifiés avant d’être enfouis dans des installations de stockage de déchets dangereux (ISDD). En 2019, 10.448 tonnes de cendres et 1.521 tonnes de boues issues des deux incinérateurs ont été enfouies à Occitanis, le Centre d’Enfouissement Technique de Classe 1 (CET1) de la société Sarpi-Veolia à Graulhet (81).

Source : Déchets les gros mots, CNIID 2012 (https://www.cniid.org/IMG/pdf/DICO_Cniid_2012.pdf)

Les rejets gazeux

L’incinération des déchets émet de nombreux rejets gazeux (gaz, poussières, métaux lourds) qui n’étaient pas contrôlés en France avant 2002. Suite au scandale de la dioxine, polluant cancérigène rejeté par les installations d’incinération, au début des années 2000, les incinérateurs se sont vus imposer des normes d’émissions de plus en plus strictes qui ont nécessité des investissements de plus en plus lourds.

L’incinérateur du Mirail, construit dans les années 60, va ainsi nécessiter des travaux importants d’ici à 2024 afin de respecter les futures normes à venir, notamment sur les émissions d’oxydes d’azote. En effet cette famille de gaz toxiques entraîne une inflammation importante des voies respiratoires et participe à l’accroissement de l’effet de serre. Or l’incinérateur du Mirail, qui est situé dans un quartier résidentiel, émet chaque année 300 tonnes d’oxydes d’azote dans l’atmosphère [9]. Même si cela peut paraître faible à côté des 4.800 tonnes émises par l’ensemble du secteur routier toulousain en 2015 [10], cela correspond tout de même aux émissions cumulées de 3.800 véhicules roulant à 50 km/h et ce 24h sur 24 [11], c’est à dire l’équivalent d’un énorme embouteillage permanent sur le périphérique. Même si l’incinérateur de Toulouse respecte les normes d’émissions en oxydes d’azote, il n’en reste donc pas moins l’un des principaux pollueurs de l’agglomération.

Il convient, en outre, de rappeler que, par définition, ne sont surveillés que les polluants que l’on est en capacité de mesurer. L’incinération de produits contenant des nanoparticules, par exemple, génère des nano-déchets que l’on n’est pas en capacité de mesurer actuellement, ni d’évaluer leur toxicité pour les êtres vivants. De plus, si ces normes sont régulièrement abaissées, c’est également à cause de la prise en compte récente des risques dus à une exposition prolongée à des substances dangereuses même à faible dose, ainsi que des potentiels effets « cocktails » dus à une combinaison de substances considérées comme peu nocives prises chacune séparément.

Hypocrisie quand tu nous tiens…

L’incinération a souffert d’une mauvaise image auprès du public à la suite des scandales de contamination à la dioxine de la fin des années 1990. Pour pallier à cela les industriels du déchet ont progressivement imposé un nouveau vocabulaire positif pour tenter de verdir leur image.

Les incinérateurs qui récupèrent plus de 60 % de l’énergie issue de l’incinération des déchets sous forme de chaleur ou d’électricité sont ainsi devenus des « Unités de Valorisation Energétique », ou U.V.E. C’est notamment le cas de l’incinérateur du Mirail depuis 2019. On est ainsi heureux d’apprendre que « Toulouse poursuit sa transition énergétique avec la valorisation d’une énergie locale de récupération » [12], c’est à dire en incinérant 225.000 tonnes d’ordures ménagères par an…

Source : Déchets les gros mots, CNIID 2012 (https://www.cniid.org/IMG/pdf/DICO_Cniid_2012.pdf)

D’après le Ministère de la Transition Écologique : « L’économie circulaire vise à dépasser le modèle économique linéaire en appelant à une consommation sobre et responsable des ressources naturelles et des matières premières » [13]. Dans ce cadre, l’incinération des déchets ne devrait être qu’une solution de dernier recours une fois que tout a été mis en œuvre afin d’éviter de les produire, de les réemployer ou de les recycler, et ce, même s’il est possible d’en tirer de l’énergie. C’est pourquoi, le fait que la société Econotre, qui gère l’incinérateur de Bessières, décrive l’utilisation de la chaleur issue de l’incinération pour chauffer des serres comme « un modèle d’économie circulaire » [14] nous apparaît surtout comme un modèle de greenwashing !

De la même manière, les mâchefers, résidus toxiques de l’incinération, sont considérés comme pouvant faire l’objet d’une « valorisation matière », c’est à dire d’une réutilisation de la matière qui les constitue, au même titre que les déchets recyclables ou les déchets verts compostés, sous prétexte qu’ils sont utilisés comme sous-couche routière. Cette définition, qui nous semble particulièrement abusive, permet ainsi à Toulouse Métropole de considérer qu’ils arrivent à un taux de valorisation matière de 39 % en 2019 [15] (dont 10 % de mâchefers), ce qui est, de toute façon, insuffisant pour atteindre l’objectif de 55 % de valorisation matière en 2020 défini dans la Loi de Transition Ecologique.

Une opportunité à saisir

La fin de vie ou le renouvellement de contrat de gestion d’un centre de traitement des déchets est souvent une occasion unique de sortir d’une gestion classique des déchets et de s’engager sur une voie différente. Ainsi à Parme, l’opposition à la construction d’un nouvel incinérateur lors des élections municipales de 2012 a permis une transition vers le zéro déchet en seulement 4 ans. [16]

Or, après la prolongation du contrat de DSP de l’incinérateur du Mirail, les contrats de gestion des deux incinérateurs de Toulouse arriveront à expiration en 2024. Dans le même temps, des défis importants s’annoncent qui vont nécessiter des investissements lourds dans les années à venir et avoir un impact fort sur les quantités et composition des ordures ménagères : le tri à la source des biodéchets, l’extension des consignes de tri, l’interdiction des plastiques à usage unique, la transition vers une économie circulaire…

Les années à venir vont nécessiter des décisions lourdes de conséquences, il est donc plus que jamais nécessaire de s’impliquer maintenant pour faire entendre notre voix et impulser le changement de direction vers une société Zéro Déchet.

Sources :

[1] [3] [7] [9] Rapport d’activité 2019, SETMI
[2] [5] [8] Rapport d’activité 2019, Econotre
[4] https://www.laregion.fr/IMG/pdf/prpdg_vote_14_novembre_2019.pdf
[6] https://www.senat.fr/rap/o98-415/o98-41516.html
[10] Évaluation de la qualité de l’air sur Toulouse Métropole en 2017, ATMO Occitanie
[11] En considérant une valeur haute d’émission d’oxydes d’azote de 180 mg/km pour un véhicule individuel avec vignette Crit’Air 2, soit l’essentiel du parc automobile toulousain (ATMO Occitanie)
[12] https://www.eneriance.fr/
[13] https://www.ecologie.gouv.fr/leconomie-circulaire
[14] https://www.suez.fr/fr-fr/notre-offre/succes-commerciaux/nos-references/econotre
[15] Rapport annuel sur le prix et la qualité du service public d’élimination des déchets 2019, Toulouse Métropole
[16] https://www.zerowastefrance.org/wp-content/uploads/2018/07/histoire-de-parme-transition-zero-dechet.pdf