Dans le cadre de la concertation sur l’avenir de l’incinérateur de Toulouse, le syndicat DECOSET qui en assure la gestion a publié un dossier détaillant les 3 solutions envisagées (rénovation/reconstruction/statu quo). En tant que syndicat de traitement, DECOSET considère que son rôle consiste uniquement à gérer les déchets produits par ses collectivités adhérentes (dont Toulouse Métropole est de loin la principale) mais qu’il n’a pas le pouvoir d’agir sur la production de ces déchets en eux-mêmes. C’est pourquoi le dossier de concertation se borne à expliquer comment poursuivre la politique de gestion des déchets actuelle avec un incinérateur sensiblement identique (qu’il soit rénové ou reconstruit) sans jamais évoquer sérieusement la possibilité d’une réduction importante des quantités de déchets et donc des besoins en capacité d’incinération. Des obligations réglementaires lui imposent pourtant dès maintenant de fortement réduire la quantité de déchets incinérés sur son territoire et elles iront en se renforçant à l’avenir. Ces obligations n’ont pas été prises en compte dans le projet de DECOSET qui n’est donc pas compatible avec la loi sur ce plan.

Voyons ensemble en quoi est-ce que c’est problématique.

Obligations réglementaires

La loi de Transition Energétique et pour une Croissance Verte (LTECV) de 2015 a apporté plusieurs modifications au Code de l’Environnement notamment à l’article L541-1 (1) où ont été ajoutés deux objectifs de diminution de la production de déchets ménagers et assimilés et de leur valorisation :

  • Réduire de 10 % les quantités de déchets ménagers et assimilés produits par habitant-e en 2020 par rapport à 2010 ;
  • Augmenter la part de ces déchets faisant l’objet d’une valorisation sous forme de matière, notamment organique, en orientant vers ces filières de valorisation, respectivement, 55 % en 2020 et 65 % en 2025 des déchets non dangereux non inertes, mesurés en masse.

D’après le rapport annuel de DECOSET (2), en 2019 le syndicat était loin d’atteindre ses objectifs puisque les DMA n’avaient diminué que de 3% par rapport à 2010 au lieu de 10% et le recyclage des DMA n’atteignait que 34%, loin des 55% prévus dans la loi. Comme l’indiquait la Chambre Régionale des Comptes d’Occitanie dans un rapport récent (3), « Décoset semble difficilement en mesure d’atteindre ce dernier objectif, compte-tenu des retards pris dans les études stratégiques. »

Or ces objectifs ont été renforcés par la suite à travers la loi Anti-Gaspillage et pour une Economie Circulaire (LAGEC) de 2020 qui a, elle aussi, apporté des modifications au même article L541-1 du Code de l’Environnement (4) qui stipule dorénavant que les collectivités en charge de la collecte des déchets doivent :

  • Réduire de 15 % les quantités de déchets ménagers et assimilés produits par habitant en 2030 par rapport à 2010 ;
  • Augmenter la quantité de déchets ménagers et assimilés faisant l’objet d’une préparation en vue de la réutilisation ou d’un recyclage en orientant vers ces filières 55 % en 2025, 60 % en 2030 et 65 % en 2035 de ces déchets mesurés en masse.

Ce dernier point peut sembler moins ambitieux que la version précédente qui mentionnait un objectif de 55% en 2020. En réalité il est plus contraignant car il cible plus précisément les déchets ménagers assimilés au lieu des déchets non dangereux non inertes qui pouvaient également faire référence aux déchets des entreprises. Par ailleurs il fait référence à la réutilisation et au recyclage alors que le texte précédent restait lui plus vague en mentionnant la valorisation matière, ce qui permettait à Toulouse Métropole d’y inclure les mâchefers issus de l’incinération par exemple.

Taux de recyclage

Conséquences sur la production de déchets

Ces obligations s’imposent réglementairement, au moins jusqu’en 2035. Au-delà aucune obligation n’existe actuellement mais il est raisonnable d’estimer que d’autres obligations plus contraignantes viendront s’ajouter à l’avenir à la faveur de futures lois sur les déchets.

En cohérence avec les trajectoires actuellement en vigueur, nous avons considéré les évolutions tendancielles suivantes :

  • Réduction de la production de DMA par habitant de -10% entre 2030 et 2050, soit -25% en 2050 par rapport à 2010 ;
  • Augmentation du taux de réutilisation et recyclage pour atteindre 75% des DMA en 2050 (soit +10% entre 2035 et 2050).

Si l’on prend en compte uniquement ces hypothèses, on obtient la trajectoire suivante d’évolution des quantités de déchets produits par habitant-e sur le territoire de DECOSET : 

Taux de recyclage

Trajectoire de réduction des déchets

Afin d’estimer ses besoins en capacité d’incinération dans le futur, le syndicat DECOSET a réalisé une étude prospective (5) prenant en compte l’évolution de la démographie et de la production de déchet sur son territoire. Il a ainsi été estimé que, dans le meilleur des cas, la production d’Ordures Ménagères Résiduelles pourrait passer de 251 kg/hab./an en 2020 à 183 kg/hab./an en 2050, soit une diminution de -27% en 30 ans. Si l’on y ajoute 16 kg/hab./an de tout venant incinérable, on aboutit à 199 kg/hab./an de déchets incinérés en 2050.

Or comme on l’a vu précédemment, la simple application des obligations réglementaires de réduction et valorisation des déchets aboutit automatiquement à une quantité maximum de déchets incinérés de 135 kg/hab./an en 2030 et même 63 kg/hab./an en 2050 si l’on considère la poursuite tendancielle des trajectoires actuelles.

 

Taux de recyclage

Comme on peut le voir sur la figure précédente, DECOSET se contente de poursuivre sa politique de prévention actuelle qui était pourtant déjà jugée insuffisante en 2020 par la Chambre Régionale des Comptes d’Occitanie. A aucun moment le syndicat n’envisage d’améliorer sa politique de prévention et la trajectoire qui résulte de ces hypothèses n’est donc absolument pas compatible des obligations réglementaires qui s’imposent à lui.

Au-delà de ces aspects légaux, l’objectif de 183 kg/hab./an d’OMR que le syndicat se fixe pour 2050 dans son scénario « prévention renforcée » est tout sauf ambitieux quand l’on sait que cela correspond à la quantité de déchets produits sur les métropoles de Rennes (6) ou Grenoble (7) en…2019 ! En se fixant ce niveau de production de déchets comme objectif pour 2050, DECOSET reconnait implicitement avoir plus de 30 ans de retard dans sa politique de réduction de déchets par rapport à ces métropoles.

Afin de justifier son retard dans la réduction des déchets, Toulouse invoque souvent des problèmes dus à la densité d’habitation et à la part élevée d’habitants résidant dans des immeubles qui compliquerait les actions de prévention des déchets. Cet argument est vrai et explique pourquoi les quantités de déchets produits sont souvent plus élevées dans les métropoles, mais il joue ici plutôt en sa défaveur car Toulouse est en réalité peu dense pour une ville de cette taille comme on peut le voir dans le tableau suivant :

Taux de recyclage

La ville de Grenoble par exemple est beaucoup plus dense que Toulouse et se rapproche en réalité plus d’une ville comme Lyon. Cela rend d’autant plus méritoire ses performances en termes de production d’OMR par habitant-e. De plus, afin de respecter ses mêmes obligations de réduction et valorisation des déchets, la Métropole de Grenoble a décidé, elle, de mettre en place un Schéma Directeur des Déchets (8) avec pour objectif clairement affiché d’atteindre les 100 kg/hab./an d’ici 2030.

La trajectoire « réglementaire » de réduction des déchets de DECOSET n’a donc rien d’utopique ou farfelue. Elle peut sembler ambitieuse étant donné le retard pris par le syndicat et ses adhérents (en particulier Toulouse Métropole) mais elle reste tout à fait réaliste et sera même certainement dépassée par des collectivités plus en avance comme Grenoble.

Conclusion

Même si elles sont inscrites dans la loi, les obligations de réduction et valorisation des déchets ne sont pas contraignantes, c’est-à-dire qu’aucune sanction ne s’applique si elles ne sont pas respectées. C’est pour cela que le syndicat DECOSET et ses adhérents, même s’ils savent être soumis à ces obligations, ne se sentent en réalité pas tenus de les respecter. L’ensemble du projet d’évolution de l’incinérateur de Toulouse est ainsi basé sur des hypothèses qui ne sont pas compatibles avec la loi. Le Code de l’Environnement constitue pourtant le cadre légal dans lequel doivent s’inscrire toutes les politiques de gestion des déchets. DECOSET y est soumis de même que l’ensemble des collectivités et des acteurs économiques qui ont recours à l’incinérateur de Toulouse pour traiter leurs déchets. Nous considérons donc que, dans l’état actuel, le projet d’évolution de l’incinérateur de Toulouse est inacceptable.

Nous demandons que le projet soit repris en y intégrant les points suivants :

  • Les hypothèses d’évolution de production de déchets qui servent au dimensionnement des besoins en capacité d’incinération à l’avenir doivent être compatibles des obligations réglementaires en vigueur, en particulier celles concernant la réduction des quantités de déchets et leur valorisation ;
  • Afin de s’assurer que ces obligations soient bien respectées, les collectivités adhérentes à DECOSET et celles ayant recours à l’incinérateur devront chacune disposer d’un document de planification stratégique de la réduction des déchets à l’horizon 2035 détaillant les moyens techniques et financiers permettant d’atteindre les objectifs réglementaires.