Dans le cadre de mon stage chez Zero Waste Toulouse, j’ai eu l’occasion de lire Déchets partout, justice nulle part, un ouvrage coécrit par Alice Elfassi et Moïra Tourneur lorsqu’elles étaient respectivement juriste et responsable de plaidoyer chez Zero Waste France.

Déjà sensibilisée aux enjeux écologiques et environnementaux, je n’avais encore jamais abordé de manière approfondie la problématique des déchets. Comme beaucoup, je trie, je composte, j’essaie de limiter les emballages et d’adopter des pratiques “zéro déchet” au quotidien. Mais la lecture de ce livre m’a permis de dépasser cette approche individuelle pour saisir les dimensions sociales et politiques de la question.

Étudiante à Sciences Po, j’ai retrouvé dans cet ouvrage des échos à certains des thèmes abordés en cours, notamment les liens entre environnement et économie, et entre environnement, justice sociale et inégalités, mais cette fois-ci sous l’angle des déchets que je n’avais pas traité jusqu’à présent.

Enfin, cette lecture a résonné tout particulièrement avec les missions réalisées pendant mon stage, en me permettant de mieux comprendre le sens des actions concrètes menées sur le terrain.

Revenir à la source des déchets

Avant de lire ce livre, j’avais l’impression d’avoir un comportement plutôt responsable en matière de déchets. Je triais, je compostais, j’évitais les produits à usage unique. Mais je me suis rendue compte que, comme beaucoup, j’abordais le sujet “par la fin”, c’est-à-dire en pensant surtout au recyclage, et non à la réduction en amont. Or l’ouvrage permet de prendre conscience des limites du recyclage et de l’importance de s’intéresser d’abord à la réduction à la source des déchets.

Comme le rappelle le livre, la politique publique doit répondre à la hiérarchie des modes de traitement des déchets (article L. 541-1 du Code de l’environnement) qui signifie que toute action conduite dans le domaine des déchets vise en priorité leur prévention et leur réduction, puis leur réemploi, leur recyclage, et enfin l’incinération ou le stockage en décharge.

Cependant, les publicités et les politiques publiques donnent l’impression que le recyclage est tout en haut de la liste, alors qu’il ne se situe qu’en troisième position. Les autrices donnent l’exemple de la filière REP, qui montre, par ses défauts, le manque de prise en compte de la prévention des déchets.

Le régime de Responsabilité Élargie du Producteur (REP) impose aux entreprises la prise en charge de la gestion des déchets issus de leurs produits, et des objectifs d’éco-conception, de durabilité et de soutien au réemploi. Cependant, le système reste centré sur le recyclage, l’incinération et l’enfouissement, au détriment de la prévention, du réemploi et de la réparation. Cette orientation est due à une gouvernance dominée par les producteurs eux-mêmes au sein des éco-organismes, qui favorisent leurs intérêts économiques. Ceux-ci investissent peu dans la prévention, car cela irait à l’encontre d’un modèle fondé sur la mise sur le marché de produits neufs.

Je ne connaissais pas du tout le fonctionnement de la REP avant cette lecture, et j’ai découvert à quel point ce système est profondément politique et façonné par les intérêts des industriels.

Si le livre se concentre sur la question des déchets, il m’a amenée à réfléchir plus globalement aux limites du modèle économique actuel, et au fait que les politiques environnementales restent souvent subordonnées à des logiques de rentabilité et de croissance. Une réflexion que j’avais entamée dans mes cours d’économie et qui prend ici une nouvelle dimension concrète.

Résister aux discours culpabilisants

Déchets partout justice nulle part m’a également fait réaliser la manière dont la communication et la publicité des multinationales et des institutions publiques perpétue le modèle de société, en déplaçant la responsabilité écologique sur les individus, sans remettre en cause les pratiques des véritables producteurs de déchets.

Ce point m’a particulièrement parlé car j’ai pu le constater lors de mon stage, en participant à des actions de distribution de stop-pub et à la rédaction d’un article sur le sujet. Sur le moment, je voyais surtout l’enjeu en termes de gaspillage de papier. Mais après avoir lu le livre, j’ai pris conscience que c’était aussi un moyen de résister à des messages culpabilisants qui nous enjoignent à mieux trier, alors que l’essentiel du problème se situe en amont.

L’exemple de Nestlé, cité dans l’ouvrage, illustre bien cette logique. Nestlé, leader mondial de l’eau en bouteille, insiste sur le fait qu’ « aucun déchet ne devrait finir dans la nature », ce qui donne l’impression que la pollution vient uniquement de l’incivilité des citoyens, alors même que l’entreprise continue à produire des millions de bouteilles jetables chaque année.

Voir les inégalités à travers le zéro déchet

Au cours de mon année d’étude, j’ai été sensibilisée aux liens entre écologie et justice sociale : les politiques environnementales peuvent parfois peser plus lourdement sur certaines parties de la population car elles ne prennent pas en compte leurs spécificités : c’était le cas de la taxe carbone qui a mené au mouvement des gilets jaunes en 2018. Grâce au livre, j’ai découvert d’autres types d’exemples de ce genre sur la question des déchets.

En 2015, Strasbourg a décidé de supprimer la collecte séparée des déchets au pied des immeubles dans le Neuhof, en invoquant une mauvaise qualité de tri dans ce quartier prioritaire. Cette mesure peut sembler paradoxale : comment espérer une amélioration si on supprime justement les infrastructures qui la rendent possible ?

Le livre aborde aussi une autre dimension des inégalités à laquelle je n’avais pas pensé : celle du genre. Il montre que le mode de vie « zéro déchet » repose sur une multitude de tâches (fabriquer ses propres produits, laver, réutiliser) qui, dans les faits, sont très souvent assumées par les femmes. Cette “charge écologique” vient donc se superposer aux inégalités de la répartition du travail domestique.

Cela m’a poussée à voir le mode de vie « zéro déchet » autrement : il ne repose pas uniquement sur des logiques individuelles mais s’inscrit aussi dans des logiques sociales (niveau de vie, conditions matérielles) et sociétales (répartition genrée des tâches domestiques). Pour diffuser cette démarche et la rendre réellement accessible au plus grand nombre, il est donc essentiel de prendre en compte ces inégalités.

Faire le tri dans les fausses bonnes idées

J’étais déjà familière avec les produits zéro déchet, mais le livre m’a amené à interroger leur accessibilité et leur potentiel de dérive. Il m’a permis de repérer les « fausses bonnes idées », les solutions qui sous couvert d’éco responsabilité, peuvent en réalité perpétuer une logique de consommation.

Cela m’a fait penser aux tote-bags. J’en ai plusieurs chez moi, offerts par des événements, des marques ou des institutions, et bien qu’ils soient tous réutilisables, ils sont rarement utilisés. Or, d’après une étude de l’Agence danoise de l’Environnement, il faut au moins 149 utilisations d’un tote-bag pour qu’il ait un meilleur bilan carbone qu’un sac plastique à usage unique, et jusqu’à 20000 pour qu’il soit vraiment plus écologique au sens large (1). Autrement dit, multiplier les sacs réutilisables sans en avoir besoin revient à déplacer le problème au lieu de le résoudre.

C’est la même chose pour les gourdes : bien qu’elles soient des alternatives aux bouteilles plastiques, elles sont souvent fabriquées en acier inoxydable importé de Chine, avec un impact important à la fabrication. Là encore, si on en change tous les six mois ou qu’on en collectionne sans réel besoin, on finit par retomber dans une consommation qui se donne bonne conscience mais reste problématique.

Cela m’a poussée à me demander si je n’étais pas moi-même tombée dans le piège d’une consommation éco responsable mais superflue. Le livre m’a permis de remettre ces objets à leur juste place, notamment à travers la pyramide des 5R (Refuser, Réduire, Réutiliser, Recycler, Rendre à la terre) qui a retenu mon attention. Avant d’acheter un objet, même zéro-déchet, il faut d’abord se demander si on en a vraiment besoin car la meilleure démarche zéro déchet, c’est parfois de ne rien consommer du tout.

Reprendre du pouvoir en tant que citoyen·ne

Dans le dernier chapitre, les autrices abordent le principe de la démocratie participative environnementale qui est inscrit dans la Constitution via la Charte de l’environnement et qui est censé garantir la bonne information et la participation du public aux lois et réglementations adoptées en matière d’environnement. Je ne connaissais pas ce principe, alors même que j’ai souvent abordé les questions de participation citoyenne et de démocratie dans mes cours, ce qui prouve que le principe reste peu valorisé et largement méconnu.

J’ai découvert que plusieurs mécanismes existent en France pour permettre aux citoyens et citoyennes de s’exprimer sur les projets ayant un impact environnemental, qu’il s’agisse de projets industriels ou de textes réglementaires. Mais dans les faits, ces dispositifs restent peu accessibles. Par exemple, les consultations en ligne organisées par le ministère de la Transition écologique sont très peu médiatisées, personnellement, je n’en avais jamais entendu parler avant cette lecture alors que je m’intéresse à ces sujets.

Même lorsque des personnes participent, leur parole est souvent mise de côté. J’ai pris conscience du paradoxe suivant : on responsabilise fortement les individus dans leur quotidien, en les incitant à trier, à réduire leurs déchets, mais on les écarte complètement des débats qui touchent à l’organisation même de ces politiques.

Un exemple m’a particulièrement marqué : celui du décret d’application de la loi anti-gaspillage de 2020, qui devait interdire les emballages plastiques pour les fruits et légumes. Lors de la consultation publique en 2021, une très large majorité des contributions appelait à une application stricte et rapide de l’interdiction. Pourtant, le texte final a été vidé de sa substance, avec de nombreuses exceptions et des délais allant jusqu’en 2026. J’ai trouvé cela décourageant : on donne l’illusion d’écouter, mais les décisions finales ne tiennent presque jamais compte de l’avis exprimé par les citoyen·nes.

Néanmoins, cela m’a incité à faire un effort de mon côté en m’informant et me mobilisant pour les prochaines élections municipales de 2026 à Toulouse. En tant que citoyenne, je peux contribuer par mon vote à soutenir une politique locale plus ambitieuse en matière de prévention et de gestion des déchets.

Finalement, cette lecture et ce stage m’ont permis de changer de regard sur les déchets, et me donnent envie de poursuivre mon engagement en continuant à m’informer, à me questionner et à agir de manière plus consciente sur ces enjeux.

Annabelle, Stagiaire chez Zero Waste Toulouse

Sources : 

Elfassi, Alice, et Moïra Tourneur. Déchets partout, justice nulle part. Rue de l’échiquier, 2022.

(1) L, Agathe. « Les mauvaises pratiques et le greenwashing dans le Zéro déchet ». Ma Petite Planète, 3 novembre 2022, https://mapetiteplanete.org/blog/zoom-planete/zero-dechet/business-du-zero-dechet-eviter-le-greenwashing/