L’Agence Européenne pour l’Environnement vient de publier un rapport (1) dans lequel elle chiffre le coût environnemental et humain de la pollution industrielle en Europe. Ce travail permet pour la première fois de chiffrer la pollution induite par les sites industriels, dont les incinérateurs font partie, sur la santé humaine et l’environnement. Pour la France le coût global est évalué à 18 milliards d’euros pour l’année 2021 dont 2.5 à 3 milliards d’euros pour le secteur de l’incinération des déchets. Le coût pour les deux incinérateurs de Toulouse et Bessières se monte au minimum à 60 millions d’euros, soit plus que le budget annuel complet du syndicat de traitement des déchets DECOSET qui gère ces deux incinérateurs !

Rapport de l’Agence Européenne pour l’Environnement

L’Agence Européenne pour l’Environnement (AEE) est une agence de l’Union Européenne qui fournit des connaissances et des données pour soutenir les objectifs environnementaux et climatiques de l’Europe. Au début de l’année 2024 elle a publié un rapport sur les coûts humains et environnementaux de la pollution industrielle en Europe.

Ce rapport évalue l’ensemble des impacts sanitaires tangibles (coût des traitements et arrêts maladie principalement) et intangibles (perte de qualité et d’espérance de vie) ainsi que les coûts environnementaux sur les bâtiments, les cultures, la biodiversité et la contribution au changement climatique par les émissions de gaz à effet de serre.

Les chercheur-euses se sont basé-es sur les émissions répertoriées dans l’inventaire européen des émissions industrielles polluantes EPRTR, auxquelles ont ensuite été affectés des facteurs de dispersion en fonction du positionnement géographique, de l’environnement autour de chaque site et du type de polluant. Enfin ces retombées industrielles ont été « traduites » en impact financier au travers d‘un coût financier unitaire déterminé pour chaque type de polluant étudié, prenant en compte les différentes études épidémiologiques existant sur le sujet.

L’impact économique d’un décès prématuré dû à la pollution peut être estimé différemment selon que l’on considère une valeur statistique de la vie (Value of Statistical Life, VSL) ou une valeur de l’année vécue (Value of Life Year, VOLY), ce dernier concept accordant un prix plus élevé au décès d’une personne jeune. Ces deux approches ont été prises en compte dans le rapport afin de montrer la sensibilité du résultat à ce paramètre, les résultats étant ainsi toujours indiqués sous forme de fourchette.

Le coût des émissions de gaz à effet de serre a lui été estimé en partant du principe que l’Union Européenne s’était engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050, chaque tonne de carbone supplémentaire émise par un site industriel en Europe devant ainsi être compensée d’une façon ou d’une autre. C’est donc le coût des moyens nécessaires à l’atteinte des objectifs climatiques européens qui est utilisé dans ce cas.

Coût des émissions industrielles polluantes

Le coût des impacts sanitaires et environnementaux des émissions industrielles polluantes sur l’ensemble de l’Union Européenne est estimé pour 2021 entre 220 et 350 milliards d’euros, la partie basse de la fourchette correspondant à une évaluation du coût de la mortalité par la méthode VOLY alors que la partie haute correspond à la méthode VSL.

Le rapport précise que cette évaluation est une estimation basse car :

  • L’inventaire EPRTR ne liste que les principaux émetteurs industriels qui sont soumis à une obligation de déclaration d’émissions polluantes, à partir de seuils définis pour chaque polluant ;
  • Seuls les principaux polluants sont soumis à déclaration et parmi ceux-ci seuls ceux ayant un impact sanitaire et environnemental importants ont été étudiés ;
  • Seul l’effet individuel de chaque polluant a été évalué, les interactions éventuelles entre eux n’étant pas prises en compte.

A l’échelle de la France entière, le coût des impacts sanitaires et environnementaux des émissions industrielles polluantes est estimé pour 2021 entre 18 et 29 milliards d’euros, dont 11 milliards d’euros uniquement pour le coût des émissions de CO2.

Ce montant est cohérent avec les résultats d’un rapport du Sénat de 2015 (2) qui estimait le coût total de la pollution de l’air extérieur en France entre 68 et 97 milliards d’euros, sachant que la part des émissions de l’industrie varie entre 15 et 25 % du total national pour les principaux polluants atmosphériques.

Impact de l’incinération des déchets

Nous avons voulu regarder le coût des émissions polluantes du secteur de l’incinération des déchets en France, mais seule une partie des émissions des incinérateurs est listée dans l’inventaire EPRTR et est donc incluse dans le rapport de l’AEE. Les émissions des incinérateurs de plus petite taille qui ne dépassent pas les seuils de déclaration n’y sont pas incluses, nous avons donc dû recalculer l’ensemble des émissions du secteur de l’incinération.

Pour ce faire, nous nous sommes basés sur les facteurs d’émission issus de la base de données OMINEA (3) qui indique pour chaque type de polluant un coefficient d’émission moyen ramené à une tonne de déchets brûlée, que nous avons ensuite multiplié par la capacité de chaque incinérateur. C’est d’ailleurs la méthode employée par les exploitants d’incinérateur eux-mêmes pour calculer leurs propres émissions.

Le coût des impacts sanitaires et environnementaux du secteur de l’incinération des déchets en France est estimé pour 2021 entre 2.5 et 3 milliards d’euros. La valeur haute de 3 milliards d’euros se décompose en 2.1 milliards d’euros pour le coût des émissions de CO2 (71% du total), 610 millions d’euros (soit 20%) pour les NOx, 120 millions pour les oxydes de soufre (4%). Les émissions restantes, dont les poussières et les dioxines, ne représentent que 5% des coûts totaux.

En 2020 le coût complet de l’incinération des déchets ménagers était estimé à 1.7 milliards d’euros en France (coût moyen de 116 €/t pour un total de 14.5 millions de tonnes de déchets ménagers incinérées (4)). Autrement dit, le coût sanitaire et environnemental de l’incinération des déchets représente entre 1,5 et 1,8 fois plus que le coût actuellement payé par les collectivités pour ce service public.

Pollution de l’incinérateur de Toulouse

Le coût des impacts sanitaires et environnementaux de l’incinérateur de déchets de Toulouse est estimé pour 2021 entre 37 et 56 millions d’euros. Ce chiffre est cohérent avec l’estimation réalisée par le journal Médiacités qui avait chiffré ce coût à 35.4 millions d’euros pour l’année 2021 dans un article récent (5).

La répartition de ce montant entre les différents types de polluants est détaillée dans le tableau suivant :

Tableau 1

Le coût des impacts sanitaires et environnementaux de l’incinérateur de Bessières est lui estimé entre 23 et 33 millions d’euros, soit un montant total estimé pour les deux incinérateurs entre 60 et 90 millions d’euros pour la seule année 2021.

Ce montant est à mettre en regard du chiffre d’affaires généré par les deux incinérateurs qui était d’environ 38 millions d’euros en 2021 (480 000 tonnes incinérées à environ 80 €/tonne), voire au budget complet du syndicat DECOSET, propriétaire des deux incinérateurs, qui était de 54 millions d’euros cette année-là (6). Le coût des impacts sanitaires et environnementaux des deux incinérateurs de DECOSET est donc largement supérieur au coût réellement payé à l’heure actuel pour leur exploitation et fait donc retomber sur l’ensemble de la société le coût de gestion des impacts qu’ils génèrent.

Gaz à effets de serre

Il convient de remarquer que le CO2 issu de l’incinération des déchets est considéré réglementairement comme étant à 50% d’origine biogénique car issu de la combustion de matériaux d’origine organique (biodéchets, papier, cartons, bois, …). L’ADEME, en accord avec les travaux du Groupe d’expert Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) sur le sujet, considère que ce carbone biogénique ne doit pas être comptabilisé dans les émissions de gaz à effet de serre car il rentre dans le cycle naturel des matières organiques, qui l’ont capturé auparavant, et ne vient donc pas s’ajouter au stock de carbone dans l’atmosphère, comme c’est le cas pour le carbone d’origine fossile.

Le coût de l’impact des émissions de CO2 dans le rapport de l’AEE correspondant à celui des moyens à mettre en œuvre pour arriver à la neutralité carbone au niveau européen en 2050, il pourrait sembler logique de ne pas prendre en compte les émissions de carbone d’origine biogénique dans le coût complet des émissions polluantes.

Cependant cette classification de la matière organique comme neutre en carbone est de plus en plus contestée par les scientifiques eux-mêmes qui ont appelé dans une tribune récente à « arrêter de considérer la biomasse forestière comme neutre en carbone » (7). Un rapport récent de Zero Waste Europe demandait également que « toutes les analyses de cycle de vie comparant différents modes de traitement des déchets (incluent) les émissions de CO2 issues de sources non fossiles dans leur évaluation » (8).

En cohérence avec ces positions, nous avons donc conservé par la suite l’ensemble des tonnages de CO2 émis pour calculer leur impact environnemental. Cette hypothèse a un impact non négligeable sur les résultats puisque le CO2 représente entre 50 % et 80 % des impacts globaux. Malgré tout, les ordres de grandeurs des résultats resteraient pertinents même si on ne considérait que le CO2 d’origine fossile dans les calculs.

Réseau de chaleur

L’incinérateur de Toulouse sert à alimenter plusieurs réseaux de chaleurs qui fournissent en eau chaude sanitaire l’équivalent de 50 000 foyers sur la Métropole. Si l’incinérateur n’existait pas, il serait nécessaire d’alimenter ces foyers par une autre source de chaleur, centrale à gaz ou biomasse, chauffage individuel ou collectif, au gaz ou électrique. L’incinérateur permet donc « d’économiser » d’une certaine façon les émissions polluantes qui seraient autrement produites par ces dispositifs.

Afin d’évaluer les quantités de polluants ainsi évités, nous avons estimé la quantité de polluants émise par plusieurs chaufferies biomasse telle que celle actuellement prévue par Toulouse Métropole dans le quartier de la Cépière (9). Pour ce faire nous sommes partis du rapport d’activité 2020 de la chaufferie biomasse Malakoff gérée par la société ERENA pour le compte de Nantes Métropole (10). Celle-ci listait dans ce rapport les quantités de polluants émis sur l’année 2020 par la chaufferie, sachant que celle-ci avait généré pour 49 GWh d’énergie cette année-là. Il faudrait ainsi 5.4 chaufferies avec les mêmes caractéristiques pour produire l’équivalent des 264 GWh de chaleur produite par l’incinérateur de Toulouse.

A production de chaleur identique (soit 264 GWh/an), les 5.4 chaufferies biomasse produiraient 10 fois moins de NOx et de poussières, 20 fois moins d’oxydes de soufre (SO2) et près de 3 fois moins de CO2 que l’incinérateur actuel.

Tableau 2

Cet écart très important est dû principalement au manque d’efficacité énergétique de l’incinérateur actuel qui ne récupère qu’une partie de la chaleur produite, mais également à la difficulté de filtrer les quantités de polluants très variés issus d’un incinérateur brûlant tous types de déchets par rapport à une chaufferie conçue pour brûler un seul type particulier de biomasse.

Dans ces conditions, le coût « net » annuel de l’incinérateur sur la santé humaine et l’environnement (c’est-à-dire le coût complet mois le coût « économisé ») serait compris entre 26 et 43 millions d’euros.

Oxydes d’azote

Après le CO2, les oxydes d’azote (NOx) sont le deuxième polluant atmosphérique émis en plus grande quantité par les incinérateurs et dont le coût, surtout sanitaire, est le plus important.

Ainsi, malgré le fait qu’il respecte les normes d’émissions et que son influence soit jugée « limitée (…) sur la qualité de l’air pour les particules et le dioxyde d’azote » par ATMO Occitanie (11), l’incinérateur de Toulouse émet tout de même des quantités d’oxydes d’azote suffisantes pour générer des millions d’euros d’impact sur la santé chaque année en termes de maladie (asthme, bronchite, …), d’arrêts maladie et de décès prématurés.

Les investissements réalisés par les collectivités pour réduire les émissions de NOx de leurs incinérateurs sont donc en fait rapidement amortis par les économies qu’ils permettent de réaliser pour le système de santé et par l’amélioration de la qualité de vie des habitant-es à proximité, d’autant plus que ces investissements sont encouragés par l’état à travers des réductions sur la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP).

Si des investissements avaient été réalisés dès 2007 pour réduire les émissions de NOx de l’incinérateur de Toulouse en diminuant la concentration maximale admise de 200 mg/Nm3 à 80 mg/Nm3 comme beaucoup d’autres incinérateurs en France, les quantités totales de NOx émises entre 2007 et 2022 auraient pu être réduites de 3 200 tonnes, soit une économie de 60 à 170 millions d’euros en termes d’impacts sanitaires évités, uniquement pour les NOx !

Conclusion

Même si les incinérateurs de DECOSET respectent la réglementation en vigueur et que leurs émissions sont faibles comparées à celles des autres émetteurs en particulier le trafic routier, leurs impacts sanitaires et environnementaux sont malgré tout très élevés et se chiffrent en dizaines de millions d’euros chaque année.

Historiquement, les élu-es en charge de la gestion des déchets sur l’agglomération toulousaine ont depuis toujours appliqué une politique de moindre coût en ce qui concerne la réduction des émissions polluantes, en limitant au maximum les investissements, se félicitant par la même occasion de pouvoir faire profiter les habitant-es d’un coût d’incinération des déchets parmi les moins chers de France (12). Mais il est évidemment plus facile de diminuer les coûts en limitant ses investissements quand on fait reposer les impacts sanitaires et environnementaux de ses incinérateurs sur l’ensemble de la société plutôt que de faire les efforts nécessaires pour les réduire à la base.

La concertation sur le projet d’évolution de l’incinérateur de Toulouse et l’augmentation importante des moyens accordés à la prévention des déchets par la Métropole semblent cependant montrer une inflexion récente de la politique toulousaine de gestion des déchets. Même si le retard à rattraper est conséquent, la Métropole de Toulouse et DECOSET semblent avoir entendu les toulousain-es qui ont clairement demandé que les élu-es fassent preuve de plus d’ambition sur le sujet de la réduction des déchets lors de la concertation : « Vous avez le devoir de faire qu’à Toulouse nous ne soyons plus les derniers de la classe !».

On peut donc espérer que les quantités de déchets produits et donc incinérés vont continuer à diminuer dans les prochaines années. Mais dans tous les cas les deux incinérateurs continueront à brûler toujours autant de déchets et à émettre des quantités importantes de polluants à l’avenir. En effet, une fois en place les équipements industriels de ce type sont toujours utilisés au maximum de leur capacité afin de rentabiliser leur construction et leur exploitation. Et les travaux qui ont lieu actuellement sur les deux incinérateurs pour les mettre en conformité avec les nouvelles normes d’émissions n’aboutiront qu’à une diminution de 25 % des émissions d’oxydes d’azote qui continueront donc à faire partie des plus élevées parmi l’ensemble des incinérateurs français (13).

A l’avenir seule la reconstruction de l’incinérateur de Toulouse à l’horizon 2032 permettra une vraie réduction de ces émissions, avec des concentrations moyennes prévues pour les NOx de 40 mg/Nm3 (14), soit bien en dessous des niveaux actuels (mais déjà en application sur l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine à partir de 2025). Par ailleurs la possibilité de reconstruire l’incinérateur sur un autre site, à l’écart de zones habitées, est toujours en cours d’étude. Pour l’incinérateur de Bessières par contre il n’y a pas à l’heure actuelle de projet de réduction importante de ses émissions polluantes avant sa fin de vie à l’horizon 2040.